« 50+1 » nuances de sadomasochisme dans le football allemand
Qu’elle semble loin, cette finale 2013, qui voyait le football allemand asseoir sa domination sur le football européen au terme d’un alléchant sommet entre les frères ennemis du Bayern Munich et du Borussia Dortmund. Sans doute fallait-il y voir le succès annoncé de la Mannschaft à la Coupe du Monde l’année suivante, concluant ainsi une période couronnée de succès tant sur la scène nationale qu’internationale.
Malheureusement, de cet âge d’or il ne reste aujourd’hui que les vagues souvenirs d’un temps lointain rattrapé par une réalité d’autant plus sombre que préoccupante. Si toute domination précède un déclin, la récente élimination précoce de la sélection nationale en poule de la Coupe du monde et les résultats en baisse constante des clubs allemands ne laissent que peu de doutes sur la réalité de ce déclin. En témoigne le coefficient UEFA de l’Allemagne en 2018 qui s’élève à 9,857 points soit son pire total depuis 2006, avec seulement un seul club qualifié en huitième de finale de la Ligue des Champions.
La règle du « 50+1 », ode à la tradition
Un constat qui ne souffre d’aucune illusion et qui a poussé les instances allemandes a tirer la sonnette d’alarme pour enrayer la chute d’un football n’ayant pas su s’accrocher au wagon de la mondialisation des investissements et des dérives financières du football moderne. En effet, la “Deutsche Fußball Liga” n’a pas suivi ses voisins européens dans la course aux investisseurs étrangers et pour cause, il est tout simplement interdit de céder la majorité de la gouvernance d’un club à un repreneur privé pour les clubs de première et seconde division allemande. Très conservatrice, cette règle dite du “50+1” fut introduite en 1998 pour favoriser la proximité entre la direction des clubs et leurs supporters, ce qui n’est pas sans rappeler la fameuse co-gestion allemande très présente en droit du travail. Sans doute faut-il y percevoir l’héritage de la RDA, petite soeur de l’idéologie communiste et sensible aux questions de partage du pouvoir.
Concrètement, cela impose aux clubs allemands de Bundesliga et de Bundesliga 2 de conserver la majorité de leurs droits de vote, à savoir 50 + 1 voix. Ces clubs, le plus souvent sous forme d’association et dont les membres sont les supporters eux-mêmes, sont ainsi assurés de ne pas céder la direction à un investisseur privé extérieur à l’institution. Les exceptions existent, à l’image du Bayer Leverkusen détenu par le géant pharmaceutique Bayer (fondé par des employés de l’entreprise), du club de Wolfsburg détenu par Volkswagen ou encore du Red Bull Leipzig, dont l’association est composée des seuls propriétaires de la firme, mais ces contournements ont vocation à créer des inégalités au détriment de la concurrence sportive. Peu étonnant donc que le RB Leipzig soit aujourd’hui le club le plus détesté d’Outre-Rhin. En Allemagne, le football est une passion avant d’être une niche financière, même si la modernité en exige autrement !
Le football-business, c’est Nein !
Mais au lendemain de son vingtième anniversaire, une large fronde menée par le président du club d’Hanovre Martin Kind s’est élevée à l’encontre de ce principe du “50+1”, jugé désuet et peu apte à répondre aux sirènes financières du football-business. L’avenir s’inscrira pourtant aux côtés de cette règle, déjà maintenue en 2009 par 32 des 35 clubs de première et deuxième division, et qui a encore été confirmée en 2018 avec une large majorité des votes (seulement quatre oppositions).
Cette décision ne surprend pas totalement … Il n’y a qu’à voir le gouffre qui sépare le Bayern Munich de ses homologues européens comme Barcelone, Manchester United ou encore le Paris SG en matière de recrutement pour constater le fort traditionalisme qui règne encore dans les mentalités allemandes. Le plus gros transfert du Bayern est celui de Corentin Tolisso, aux alentours de 43 millions d’euros, peu flamboyant en comparaison des transferts de Mbappé, Dembélé ou encore Neymar qui se chiffrent en centaines de millions d’euros.
Un avenir toujours menacé
Un différentiel qui pose des questions sur le potentiel des clubs allemands à suivre le rythme de la concurrence. Premier en Bundesliga, le Borussia Dortmund s’est vu infliger une lourde défaite par Tottenham 3-0, pourtant une des équipes les plus abordables des huitièmes de finale. Une perte de compétitivité qui pourrait tirer l’ensemble du navire vers le bas, avec un décrochage des droits télévisés et un manque d’intérêt des étrangers à l’égard du football allemand. Désintérêt déjà manifeste notamment sur les réseaux sociaux, où les clubs allemands sont parmi les moins suivis.
Et juridiquement, le maintien de cette norme est discutable, si bien que de nombreux clubs ambitionnent de porter l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En effet, de cette norme résulte une discrimination à l’entrée sur le marché des investisseurs externes qui est contraire aux principes européens de libre circulation des capitaux et de liberté du commerce. Sous un aspect davantage concurrentiel, il n’est pas à exclure l’existence d’une entente anticoncurrentielle eu égard à la restriction d’accès sur le marché qui en découle.
Il n’en demeure pas moins que si le conservatisme allemand est un frein à ses ambitions sur la scène européenne, les stades jouissent d’un taux de remplissage qui fait figure d’exemple en Europe. Au-delà de cette ferveur, la mainmise des fans sur la direction des clubs permet une politique tarifaire des plus attractives sur le continent pour jouir d’un football s’inscrivant dans les plus prolifiques du top cinq.