Approche pénale des événements du centre d’entraînement de l’OM
L’Olympique de Marseille fait partie des clubs emblématiques du championnat de football français. Régulièrement présent lors des grandes compétitions européennes, c’est également le premier club français à avoir remporté la ligue des Champions en 1993, face au Milan AC. Fondé en 1899, le club phocéen dénombre aujourd’hui à son palmarès pas moins de 9 titres de champions de France, 10 victoires en Coupe de France, 3 Coupes de la Ligue et une Coupe Intertoto, en sus de son titre européen. Fort de cette histoire, le club compte sur un public remarquable, les supporters étant très investis pour leur club, dans les périodes prospères comme les périodes plus délicates. Ce fut le cas en ce début d’année 2021, marqué par des manifestations de supporters au centre d’entraînement du club. Retour sur les faits à l’origine de ces événements et explications des conséquences juridiques subséquentes.
Les faits
Après une première partie de de saison en demi-teinte, des supporters ont décidé à la fin du mois de janvier de faire entendre leur mécontentement aux joueurs et aux dirigeants, notamment à Jacques-Henri EYRAUD, alors président du club depuis octobre 2016. Les raisons de cette colère sont multiples : les résultats sportifs tout d’abord, en début d’année le club se trouvait éloigné des objectifs européens affichés depuis plusieurs années au travers de l’OM Champions Project et se classait en milieu de tableau de la Ligue 1. De plus, affirmer que les relations entre le président Jacques-Henri EYRAUD et les supporters étaient délicates aurait été un euphémisme. En effet, le dialogue était rompu entre les deux camps, une mauvaise gestion dans un contexte financier délicat pour le club étant notamment reprochée au dirigeant. Le point de rupture a été atteint lorsque le président a critiqué dans les médias la présence de nombreux collaborateurs marseillais dans l’organigramme du club.
C’est dans ce contexte que les supporters phocéens ont décidé de faire entendre leur colère. En ce 30 janvier 2021, des banderoles et drapeaux ont été déployés en début de journée, ce qui, de prime abord, n’avait rien de surprenant pour un club de l’envergure de l’Olympique de Marseille un jour de match à domicile. Ces éléments auraient pu demeurer anodins s’ils n’avaient pas précédé les événements qui ont suivi. Par la suite, les supporters se sont regroupés devant le centre d’entraînement Robert-Louis DREYFUS, allumant pétards et fumigènes. Certains ont ensuite réussi à pénétrer dans l’enceinte, jusque dans le bâtiment du groupe professionnel. Tentant d’amorcer un dialogue avec les supporters, le défenseur central olympien Alvaro GONZALEZ avait alors été touché par un projectile. Plusieurs arbres avaient été brûlés et d’importantes dégradations matérielles commises, estimées à plusieurs centaines de milliers d’euros par le club qui avait d’ailleurs déposé plainte dans la foulée. A la suite de ces événements, le match opposant l’Olympique de Marseille au Stade rennais le soir même au stade Vélodrome avait dû être reporté à une date ultérieure.
Suite à ces incidents à la Commanderie, 25 personnes ont été interpellées et 18 d’entres elles placées en garde à vue. Quatre supporters ont finalement été remis en liberté, tandis que 14 autres ont été déférés selon la procédure de comparution immédiate, à l’issue de laquelle un renvoi à une audience ultérieure a été prononcé. Les 14 prévenus ont donc comparu devant la juridiction correctionnelle le 24 février 2021.
La comparution immédiate appliquée aux événements du centre d’entraînement de La Commanderie
Prévue par l’article 395 du Code de procédure pénale, la comparution immédiate permet au Procureur de la République de faire comparaître immédiatement une personne mise en cause devant la juridiction correctionnelle. Elle est possible tant en procédure de flagrance(1) qu’en enquête préliminaire(2). En flagrance, elle n’est toutefois possible que si les faits font encourir à leur auteur une peine d’au moins six mois d’emprisonnement et dans la mesure où le Procureur estime que les infractions en cause nécessitent de recourir à cette procédure.
Au cas présent, 14 supporters de l’Olympique de Marseille comparaissaient selon la procédure de l’article 395 du code de procédure pénale pour destruction volontaire d’un bien(3) et participation à un groupement en vue de dégradations(4). Ces infractions font respectivement encourir à leur auteur 2 ans d’emprisonnement et 30.000€ d’amende, pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende(5) pour l’infraction de destruction volontaire d’un bien et un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende pour la participation à un groupement en vue de dégradations. Les supporters interpellés l’ont été en raison de leur présence sur les lieux de l’infraction et de leur participation supposée à celle-ci ; le recours à la comparution immédiate se trouvant ainsi légalement justifié.
Le renvoi de l’audience correctionnelle
Toutefois, l’audience correctionnelle de jugement ne s’est tenue que le 24 février 2021, soit une quinzaine de jours suivant leur déferrement en comparution immédiate. La justification de cette « audience différée » est fournie par l’article 397-1 du code de procédure pénale. En effet, lors de la présentation d’une personne mise en cause selon la procédure de comparution immédiate, le consentement du prévenu à être jugé séance tenant est nécessaire. Dans l’hypothèse où ce dernier n’y consentirait pas, ou si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le tribunal correctionnel renvoie l’audience à une date ultérieure qui ne peut être ni inférieure à deux semaines, ni supérieure à six semaines.
Au cas présent, la majorité des prévenus a demandé un report de l’audience lors de la présentation en comparution immédiate, lequel a été accordé par la présidente, estimant préférable que tous les supporters mis en cause soient jugés en même temps. Notons que cette demande de renvoi à une date ultérieure peut se justifier pour le prévenu par la nécessité de préparer au mieux sa défense avec son avocat.
En attendant le jugement : le placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire
Une fois ce renvoi prononcé, deux cas de figure se présentent pour le prévenu : il peut être placé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire jusqu’au moment de l’audience de jugement(6).
Au cas présent, c’est ainsi qu’à la suite du mandat de dépôt requis par le Procureur de la République de Marseille, estimant qu’il existait un risque élevé de réitération des faits, huit supporters ont été placés en détention provisoire dans l’attente de leur jugement. Pour six autres, un placement sous contrôle judiciaire a été prononcé, lequel était assorti de plusieurs interdictions comme celle de venir dans la cité phocéenne, celle de manifester, ainsi qu’une obligation de pointage régulier dans un commissariat ou une gendarmerie.
L’audience correctionnelle du 24 février 2021
L’audience de jugement à laquelle comparaissaient les 14 supporters interpellés s’est tenue le 30 janvier 2021. Lors de celle-ci, le Procureur de la République a requis des peines de huit mois de prison avec sursis à l’encontre de 13 supporters et une peine de 4 mois d’emprisonnement ferme non assortie d’un mandat de dépôt à l’encontre d’un autre. Ces réquisitions ont été partiellement suivies puisque le Tribunal correctionnel de Marseille a prononcé onze peines d’emprisonnement avec sursis, deux relaxes et une peine d’emprisonnement ferme d’une durée de 3 mois. Dans ce dernier cas, précisons que la juridiction n’ayant pas décerné de mandat de dépôt à l’encontre du supporter condamné et la peine prononcée étant inférieure à six mois, celle-ci est donc entièrement aménageable sauf en cas d’impossibilité qui résulterait de la situation ou de la personnalité de la personne condamnée(7).
En effet, depuis la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 entrée en vigueur le 24 mars 2020, pour toute peine correctionnelle prononcée d’une durée comprise entre un et six mois d’emprisonnement, le principe est celui de l’aménagement ab initio de celle-ci par la juridiction correctionnelle. En pratique, cela signifie que la peine est aménagée dès son prononcée, sans recourir au juge de l’application des peines. Cet aménagement peut prendre la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique, d’un placement à l’extérieur ou d’une semi-liberté.
Dans quelle mesure un tel aménagement ab initio se justifie-t-il ?
Cet aménagement ab initio des peines d’emprisonnement ferme inférieures à six mois se comprend aisément au regard du principe de personnalité des peines, principe général du droit pénal posé par l’article 132-24 du Code pénal ayant d’ailleurs valeur constitutionnelle(8) et découlant de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
La poursuite de l’enquête – Seconde audience correctionnelle
Le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Marseille concernant les 14 supporters interpellés lors des évènements du 30 janvier 2021 n’était toutefois pas le dernier chapitre pénal de cette affaire. L’enquête a été poursuivie et a mené à l’interpellation de cinq autres supporters le 10 février 2021. Également jugés en comparution immédiate, leur procès a été renvoyé au 22 mars 2021. Pour ces supporters, aucune détention provisoire n’a été prononcée, ces derniers ayant tous été laissés libres, sous contrôle judiciaire.
Le 22 mars 2021, l’audience correctionnelle s’est donc ouverte contre cinq leaders de groupes de supporters du club phocéen. Estimant qu’il existait plusieurs preuves d’une réunion organisée en vue de commettre des dégradations et violences (annonces sur les réseaux sociaux, heure de rassemblement, etc..) le tribunal a prononcé plusieurs peines correctionnelles.
En premier lieu, le trésorier du groupe de supporters « Marseille Trop Puissants » (MTP) a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement ferme. Cette peine ne sera toutefois pas exécutée en milieu carcéral mais sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique(9). Matériellement, cela consiste en la pose d’un bracelet électronique à la personne condamnée, qui s’engage à rester à domicile lors de certaines plages horaires définies par le juge et peut donc poursuivre l’exercice de son activité professionnelle et sa vie familiale.
Le vice-président des « South Winners » et le président du « CU 84 » ont écopé d’une peine de 9 mois d’emprisonnement, dont 5 mois avec sursis, mais ces derniers ne seront également pas emprisonnés, la peine étant ici également aménageable (cf supra sur les peines d’emprisonnement ferme inférieures ou égales à 6 mois).
L’un des dirigeants des « Winners » a écopé d’une peine d’emprisonnement de 10 mois intégralement assortie du sursis.
Enfin, l’ex-capo des Winners n’a pas été condamné et a fait l’objet d’une relaxe, ce qui peut signifier deux choses : soit que les preuves formelles de sa culpabilité n’ont pas été établies, soit que les poursuites dont il faisait l’objet ont été jugées infondées par le tribunal.
Sur la peine d’interdiction de stade
Un temps évoquée par les médias, la peine complémentaire d’interdiction de stade n’a été prononcée à l’encontre d’aucun des supporters jugés, ni même requise par le Procureur de la République.
Par définition, la peine d’interdiction de stade vise à prévenir ou sanctionner la violence dans les stades, lors des matchs de football. Cette sanction peut être administrative lorsqu’elle est prononcée par le Préfet ou judiciaire lorsqu’elle l’est par un tribunal. C’est une peine complémentaire venant s’ajouter à une amende ou un emprisonnement.
Dans cette affaire, cette sanction n’a pourtant pas été prononcée par le tribunal correctionnel à titre de peine complémentaire. Pour cause, la peine judiciaire ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’une personne condamnée pour des délits spécifiques tels que visés par les articles L.332-2 à L.332-10 du Code du sport(10).
Or, au cas présent, les conditions juridiques du prononcé d’une telle sanction n’étant pas réunies, les violences n’ayant eu lieu ni lors d’un match ou encore, ni dans un stade, il semble cohérent qu’aucun supporter n’ait écopé de cette sanction.
A la suite de la décision rendue par le Tribunal correctionnel de Marseille, les supporters condamnés disposaient de la possibilité de faire appel dans le délai de 10 jours à compter du prononcé du jugement(11), chose que le vice-président des South Winners de Marseille avait déclaré envisager de faire à l’issue du verdict. Enfin, après une situation compliquée persistante durant plusieurs semaines après les actes de La Commanderie, notamment marquées par la démission suivie finalement d’une mise à pied à titre conservatoire de l’ancien entraîneur André VILLAS-BOAS, les choses semblent aujourd’hui sur le chemin de l’apaisement. Pablo LONGORIA a en effet été nommé président du directoire de l’Olympique de Marseille, succédant à Jacques-Henri EYRAUD, Jorge SAMPAOLI est désormais l’entraîneur de l’effectif olympien qui a d’ailleurs retrouvé la sixième place du classement et peut donc à nouveau rêver à une compétition européenne.
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- Art. 53 à 74-2 C. proc. pén : l’enquête de flagrance permet aux enquêteurs d’agir rapidement face à la nécessité d’une réaction pénale rapide mettant fin au trouble causé à l’ordre public. Elle n’est possible que pour des crimes et délits, lesquels sont qualifiés de flagrants lorsqu’ils sont commis actuellement, viennent de se commettre ou lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit. Elle nécessite la réunion de deux critères pour justifier son ouverture : un critère d’apparence et un critère temporel. Elle confère des pouvoirs plus étendus aux enquêteurs
- Art. 75 à 78 C. proc. pén : l’enquête préliminaire est celle ouverte les critères de l’enquête de flagrance ne sont pas réunis et peut être décidée soit par le Procureur de la République, soit d’office.
- 322-1 C. pén
- 222-14-2 C.pén
- 322-3 C. pén
- 397-3 C. proc. pén
- 132-19 al. 3 C. pén, par renvoi à l’article 132-25 du même code et à l’art. 723-15 C. proc. pén.
- Depuis la décision n°2005-520 DC, Cons. Constit du 22 juillet 2005
- 132-25 al.2 C. pén
- Lesdits articles visent les infractions de violences commises à l’occasion d’un match, même en dehors du stade, d’introduction de boissons alcoolisées ou en d’entrée en état d’ivresse dans un stade, d’incitation à la haine ou à la violence et port d’insignes racistes lors d’un match, d’introduction et/ou utilisation de fumigènes, port d’arme ou jet d’objet pouvant servir d’arme (par renvoi à l’article 1325-5 du Code pénal) dans un stade, invasion du terrain ou enfin, participation à un groupe de supporters dissous par le Préfet.
- 498 C. proc. Pén
- Crédit photo : footbal365.fr / Antoine CLERAT – OM c’était le chaos à la Commanderie – 30/01/2021