Arbitrage : quand la machine remplace l’homme
Souvent discuté, polémiqué, pris à parti, autant par les acteurs que les spectateurs, l’arbitrage est toujours au cœur des débats. Le monde sportif, dont la bonne foi pourrait parfois être remise en question, a coutume de le dénoncer afin de mettre en évidence ses limites. Il peut aussi faire partie de la beauté et du charme du sport. En effet, son rôle central et l’importance de ses décisions font qu’il est un l’un des acteurs principaux d’une rencontre sportive, au même titre que les sportifs ou les entraîneurs. Néanmoins, les enjeux économiques grandissants le contraignent à être aidé par un atout qui devient de plus en plus intrusif : l’Intelligence Artificielle.
Plus besoin de la présenter, son implication dans la société est débordante et le monde sportif n’y échappe pas. Outre son implication dans l’optimisation de la performance des sportifs (notamment grâce à son importance dans le traitement de données), elle se développe dans l’arbitrage de sports tels que la gymnastique, le football ou encore le tennis.
Son objectif est clair : rendre l’arbitrage de plus en plus juste, amenant une réglementation toujours plus précise ne laissant pas la place au moindre écart. Fini les erreurs de jugement et d’interprétation ; fini les possibles décisions influencées ; fini les comportements litigieux. Tout mène à uniformiser les règles des jeux pour pouvoir rendre les décisions de moins en moins flexibles.
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Bien que l’intelligence artificielle vienne à la rescousse des arbitres sportifs, nous pouvons quand même nous poser la question sur le rôle de l’erreur d’arbitrage dans le sport. Il est vrai qu’elle est devenue un indicateur phare faisant partie du jeu et peut amener un véritable sentiment d’injustice. Mais est-ce que cela ne participe pas au charme d’une rencontre sportive en apportant une pointe de singularité ? Devons-nous véritablement réorganiser nos rencontres sportives autour de l’Intelligence Artificielle, au risque de sacrifier nos coutumes et nos traditions ?
L’arbitre humain est-il encore utile ?
Il est vrai que cette question peut paraître très philosophique voire existentielle, mais lorsque l’on observe le monde sportif actuel et son évolution, elle est totalement légitime.
Prenons le tennis comme premier exemple. Ces Masters de Londres 2020 ont amené la disparition des juges de ligne ; des arbitres peu souvent mis en valeur, mais qui sont primordiaux. Faut-il les sacrifier au profit de l’Intelligence Artificielle, matérialisé par le « Hawk-eye », qui a la capacité de décortiquer la trace de la balle en une poignée de millisecondes ? Devons-nous les remplacer par des voix préenregistrées comme si nous voulions quand même garder une dose d’humanité ?
Évidemment, cette technologie permet de fluidifier le jeu, ce qui a pour objectif de dynamiser ce sport (qui perd en attractivité). Cependant si nous continuons dans cette logique, que devient l’arbitre de chaise ? Son seul rôle est d’annoncer le score, perdant presque une totale influence dans la rencontre. Vu la rapidité de l’évolution, il pourrait même disparaître laissant place à une voix préenregistrée. Le jeu serait alors uniquement rythmé par l’Intelligence Artificielle.
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Un autre exemple peut être celui du football, sport tellement populaire où l’arbitrage est le plus souvent décrié. Dans ce sport, le sacrifice arbitral a déjà débuté. Cela fait maintenant deux ans que les arbitres additionnels en charge de la surface de réparation ont laissé leur place à la Goal-line Technology. Un passage de cinq à trois arbitres de terrain, mais qui laisse entrevoir seulement le commencement. En effet, nous pouvons d’ores et déjà indiquer que les jours des arbitres de touche sont comptés. Leur degré et temps d’appréciation sont souvent jugés trop limités d’un point de vue de leur fiabilité, ce qui aura raison d’eux.
La FIFA elle-même a pu affirmer que l’IA est un outil essentiel pour améliorer l’Assistance Vidéo, les dernières études ayant montré que la technologie de suivi visuel et les algorithmes permettent de contrôler les cas de hors-jeu plus facilement.
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Mais la véritable question porte sur la capacité qu’a ce sport d’endosser toutes ces nouveautés. Le problème, ne serait-il pas l’uniformisation des règles du jeu ? Les arbitres sont livrés à eux-mêmes, malgré tous les enjeux qui en dépendent, avec des règles qui changent constamment, comme les situations de fautes de main ou de Hors-jeux. L’IA arrivera-t-elle à faire mieux et dans quelles conditions ?
La finalité pourrait être semblable à la situation imaginée pour le tennis : un match guidé par l’intelligence Artificielle. Imaginez un peu ! Un match comme dans la célèbre série « Galactik Football » pour les amateurs. Des matchs guidés par une entité supérieure qui posséderait la vérité unique pour amener de la justice dans une rencontre sportive où les décisions sont traditionnellement contestées. Je préfère encore ce bon vieux Collina, arbitre légendaire qui savait calmer les joueurs les plus téméraires.
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Continuons avec le dernier sport qui verra l’IA arriver très prochainement au niveau de l’arbitrage : la gymnastique. Toutes les figures y sont décortiquées, analysées et chiffrées afin que la note du gymnaste soit attribuée directement par l’IA et non par des juges humains. Les données aideront les juges à trancher des différences qui ne sont pas forcément visible à l’œil nu, en particulier à un niveau Olympique. Les notes ne seront que mieux accueillies par les athlètes.
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Si cela peut laisser penser au premier abord que les notes seront désormais plus objectives, il est légitime de se demander si cela ne nuira pas à la créativité des sportifs. Espérons que l’Intelligence Artificielle sera seulement considérée comme une aide pour le Jury dans ce sport.
Une IA qui peut faire peur
Bien que cela ne soit pas encore totalement ficelé, l’IA arrive donc à grands pas. Sommes-nous capables de mettre de côté une partie de la mise en scène théâtrale du tennis, consistant à voir chaque arbitre jouer son rôle avec ses mimiques qui sont si particulières ? Sommes-nous capables de voir les plus grands sportifs qui nous sont chers arbitrés par des machines que nous avons conçues ?
Quoi que l’on dise, et l’injustice, et la volonté de se libérer du cadre imposé font aussi parti du charme des rencontres sportives passées. La fameuse « Mano de Dios », la main de Maradona, serait-elle aussi connue si elle avait été refusée ? Les différences d’interprétation entre chaque supporter, ne doivent-elles pas rester au centre des débats sportifs ? Le sport serait-il aussi débattu et discuté s’il n’y avait pas d’erreurs d’arbitrage ? L’Intelligence Artificielle contribue certes à un arbitrage de plus en plus cadré. Mais les spectateurs sont aussi friands de joueurs sanguins et théâtraux comme Fognini, Kyrgios ou Benoit Paire. Des joueurs qui, malgré toutes les valeurs de sportivité et de fair-play qu’ils doivent incarner, font des erreurs humaines.
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Mais à leur manière ils permettent aussi de toucher une audience plus éloignée. Certaines vidéos deviennent virales et contribuent à l’expansion du sport concerné. L’Homme est aussi demandeur d’erreurs et de différences. Bien évidemment, cela peut avoir des limites. Accepter de temps en temps l’injustice à un certain degré fait aussi partie de la beauté du sport.
Le développement de l’IA basculerait avec elle ce goût d’humanité et limiterait ces petits débordements qui font aussi partie du charme du sport et qui déchaîne les passions. L’interprétation de l’arbitre fait aussi partie de la beauté du jeu.
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Bien que les coûts des services d’enregistrement ne soient pas excessifs, ils peuvent encore avoir certaines limites. Dernièrement, un club écossais en a fait les frais. Ce dernier a proposé à ses fans de regarder le match à l’aide d’une caméra devant suivre le ballon. Le problème ? La caméra a suivi l’arbitre de touche, confondant sa tête chauve avec le ballon. Une aubaine pour les spectateurs qui avaient déboursé 12 euros pour le match.
Finalement, c’est une part d’humanité qui s’en va lorsque la justice artificielle arrive à grands pas. L’erreur est humaine, effacer l’erreur revient à effacer l’Homme. Réinventons nos sports tout en étant en accord avec l’histoire et les émotions qu’ils peuvent procurer.