La fratrie Glazer : les propriétaires honnis de ManU
Pour les habitués du championnat français, les différents propriétaires des principaux clubs de Ligue 1 sont rarement des grands inconnus : médias et supporters se délectent d’histoires se concentrant sur les milliardaires, chefs d’entreprises, ou même fonds souverains à la tête des différents clubs de notre Ligue des talents. Nonobstant François Pinault, actionnaire majoritaire du Stade rennais qu’on retrouve assez rarement en première page des médias sportifs, force est de constater qu’à peu près tout le monde ayant une connaissance sommaire du football en France sait que le PSG « appartient au Qatar » (par l’intermédiaire de la branche sportive de son fonds souverain, Qatar Sports Investment) ou a déjà lu un tweet de Jean-Michel Aulas.
Même après le fameux huitième de finale retour en Ligue des Champions entre le Paris Saint-Germain et Manchester United (NB : sur lequel l’auteur de cet article ne souhaite pas revenir pour des raisons personnelles), on peut à l’inverse se faire la remarque que très peu de contenu est consacré de ce côté-ci de la Manche aux propriétaires des clubs de l’English Premier League, et a fortiori à ceux qui ont la mainmise sur le club qui a le palmarès le plus fourni de l’histoire du football anglais : les frères Glazer.
Curriculum vitae des Glazer Bros.
Issus d’une famille juive new-yorkaise, le patriarche des Glazers se nommait Malcolm (il est décédé en 2014), et c’est lui qui bâtit l’empire commercial de la famille Glazer. Il a tout du self-made man américain : après avoir vendu au porte-à-porte dans son enfance les montres que fabriquait son père, il développa ses affaires de joaillerie, avant de se lancer dans l’immobilier, puis de, progressivement, monter un véritable empire financier. À son apogée, la société holding des Glazer, First Allied Corp., dispose en effet de participations très variées : immobilier, industrie agroalimentaire, Harley Davidson, l’industrie pétrolière, etc…
En 1995, Malcolm Glazer fit ses premiers pas dans le monde fermé des propriétaires d’équipes de sport, lors de l’achat de la franchise de football américain des Tampa Bay Buccaneers. C’est alors qu’il réalisa un de ses premiers coups d’éclats : face à la perspective de voir la franchise des Buccaneers délocalisée de Tampa Bay, le conseil municipal de la ville vota pour la création d’un impôt indirect qui allait aider la construction du nouveau stade des Buccaneers. Déjà, les opposants des Glazers (Malcolm, et ses fils Joel et Avram) dénoncèrent une manoeuvre ayant permis aux propriétaires millionnaires d’une franchise de financer entièrement la construction d’un stade par un impôt sur la consommation des habitants de la ville.
Manchester is Red (Football Ltd.)
C’est au début des années 2000 que les Glazers ont jeté leur dévolu sur Manchester United. Le club représentait pour eux un investissement très intéressant, ayant une assise mondiale et une histoire glorieuse ; tout en paraissant disponible à un prix relativement abordable. Progressivement, les Glazers achètent les parts du club coté sur la Bourse de Londres. Malgré l’opposition virulente des supporters des Red Devils (c’est à cette époque qu’apparaît le slogan Love United, Hate Glazers, ou LUHG), les Glazers réussissent en 2005 à retirer le club du marché boursier.
En réalité, là où le bât blesse particulièrement pour les supporters mancuniens, c’est dans la façon dont les Glazers se sont emparés des actions du club, qui n’est pas sans rappeler des mauvais souvenirs aux habitants de Tampa Bay. L’objectif de l’opération ? Détenir 98% des actions, ce qui leur permettra de squeeze out les actionnaires minoritaires restant, c’est-à-dire de les forcer à vendre leurs actions. À ces fins, le véhicule d’investissement Red Football Ltd. a été créé ; et la technique du leveraged buyout, ou LBO, a été utilisée. Dans ce montage financier, l’entreprise acheteuse (ici, Red Football Ltd) va solliciter des fonds afin d’acheter un actif particulier (ici, Manchester United Football Club Limited) ; sauf qu’il est prévu que la première remboursera la dette sur les bénéfices de la seconde. Pour résumer, les Glazers, sans débourser un seul centime ou presque, ont acheté Manchester United en endettant le club à hauteur de 700 millions de livres.
Durant les premières années du club après le rachat, les finances de United pouvaient bénéficier de plusieurs circonstances favorables : l’explosion continue des revenus tirés des droits de retransmission télévisuelle ; l’exploitation jusqu’à l’outrance de son potentiel commercial par de nombreux contrats de sponsoring (parmi lesquels on pouvait dénombrer une marque de pneus, une bière thaïlandaise, du vin chilien) ; et enfin, de bonnes performances sur le terrain sous les dernières années du mandat de Sir Alex Ferguson, dont une Ligue des champions en 2008. Cependant, le montage financier ayant permis le rachat du club l’a grevé d’une charge de la dette colossale, ayant atteint les 70 millions de livres par an à la fin des années 2000.
Là se concentre toute la rancoeur des fans : sans avoir investi un seul centime, les Glazers se sont considérablement enrichis avec l’augmentation de la valeur de Manchester United, qui, selon une estimation de Forbes, valait en 2018 3 668 millions de dollars ; mais cela au prix d’une charge de la dette considérable limitant les possibilités de recrutement du club qui reste aujourd’hui le troisième club de football du monde en termes de revenus (666 millions d’euros en 2017-2018 selon le cabinet Deloitte, un chiffre qui ne s’invente pas…). Troisième fortune mondiale donc, pour un club qui depuis 5 ans n’a réussi qu’une fois à accrocher le podium de la Premier League, lors de la saison 2017-2018. À de nombreuses reprises durant l’intersaison, les fans du club mancunien ont déploré un manque d’investissement incohérent avec les revenus du club.
We shall not be moved
En septembre 2019, le Mirror déclarait laconiquement que les Glazers étaient satisfaits de la gestion de Manchester United par leur directeur général, Ed Woodward (qui lui-même s’est considérablement enrichi à la tête du club). Les fans désabusé du club au 42 trophées doivent donc continuer à faire le dos rond.
Une attitude qui n’était pas du goût de tout le monde. On se souvient en effet qu’en 2010, un groupe de personnalités plutôt aisées (banquiers d’affaires, avocats associés …) dénommé les Red Knights avait mis sur la table une offre d’un milliard de livres pour racheter le club. Les Glazers ont fait la sourde oreille, et le plan a échoué, aux désarroi des fans qui avaient fait connaître leur soutien pour l’opération.
Par ailleurs, en 2005, certains supporters sont jusqu’à aller créer un club semi-professionnel, le F.C. United of Manchester. L’initiative, bien qu’intéressante, n’a pas été du goût de toute la communauté des Red Devils, et leur loyauté fut même questionnée par Sir Alex Ferguson himself. Ils jouent aujourd’hui en Northern Premier League, le 7ème échelon du football anglais.
De glorieux succès sur le terrain auraient peut-être pu faire passer la pilule Glazer aux supporters mancuniens. Cependant, le Manchester United F.C. n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans la forme de son histoire ; ce qui met en exergue la gestion du club d’Ed Woodward. Un passionné de football ne peut que s’attrister du destin du plus grand club d’Angleterre, devenu la proie de ce qui peut être décrit comme un amalgame des pires dérives du foot business du XXIème siècle. L’auteur de cet article sait comme tout un chacun que les clubs de foot sont loin d’être des œuvres de charités, et que ce sont avant tout des entreprises à but lucratif ; mais comment ne pas regretter que le monument qu’est United ne soit devenu (en forçant certes le trait) qu’une vulgaire machine à fric, destinée à permettre aux frères Glazers de rembourser la dette qu’ils ont eux-même contractée pour l’acquisition du club ?
Paul Trinel