La liberté d’expression relative des athlètes aux Jeux Olympiques
Introduction
Les Jeux Olympiques (JO) ne sont pas qu’une manifestation sportive, comme on peut trop souvent le penser. Ils servent à amplifier tous les messages que l’on souhaite passer. Toute l’attention du monde se concentre sur cet événement. Il est important de rappeler que cette compétition sportive a toujours été ancrée dans l’histoire et n’a fait qu’évoluer au fil des années.
A l’origine, les Jeux olympiques se déroulaient dans le centre religieux d’Olympie jusqu’à leur disparition au Vème siècle. Mais cette disparition n’a duré qu’un temps puisque les jeux ont été rénovés par le baron français Pierre de Coubertin en 1894, avec la fondation du Comité international olympique (CIO).
C’est à partir du XXème siècle que les JO ont commencé à avoir une dimension géopolitique très importante, liée à la présence de quasiment chaque nation. Les États profitaient de cette compétition sportive afin d’asseoir leur supériorité politique ou sportive dans le monde, comme ce fut par exemple le cas en 1936 lors des JO de Berlin organisés par Hitler. L’Allemagne étant le pays organisateur à cette époque, Hitler n’avait aucune restriction et a pu montrer la prédominance de son régime nazi.
À travers cette dimension géopolitique, les sportifs ont également voulu manifester leur opinion politique, religieuse ou raciale pendant les jeux. Néanmoins, la Charte Olympique, publiée pour la première fois en 1908 et codifiant les principes fondamentaux de l’Olympisme, prohibe à travers sa règle 50 « toute sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». En effet, chaque individu doit pouvoir faire du sport sans aucune discrimination et dans l’esprit olympique qui exige un esprit de solidarité entre les sportifs et de fair-play.
Cependant, cette règle représente pour certains une limite à la liberté d’expression et c’est pourquoi elle a fortement été critiquée comme constituant une atteinte injustifiable à la liberté d’expression des athlètes.
La lutte historique des Américains Tommie Smith et John Carlos contre la ségrégation raciale
Cette lutte s’est manifestée notamment le 16 octobre 1968, durant les Jeux Olympiques de Mexico, les Américains Tommie Smith et John Carlos ont levé leur point sur le podium des 200 mètres en athlétisme. Ce geste leur vaudra l’exclusion à vie des Jeux Olympiques, mais pas le retrait de leurs médailles. Ils ont été pour l’un, Tommie Smith, médaillé d’or et pour l’autre, John Carlos, médaillé de bronze.
La presse décrira ce geste comme un salut du « Black Power » tandis que Smith, à travers son autobiographie Silent Gesture précisera que c’est un « salut pour les droits de l’homme ».
Durant les années 1960, la ségrégation était très présente aux États-Unis et ces sportifs voulaient montrer qu’ils étaient prêts à défendre leurs droits. Ce geste a toutefois été mal vu par le Comité olympique américain, qui dès le lendemain annonça à John Carlos et Tommie Smith qu’ils devaient quitter la délégation américaine dans les 48 heures. S’ils refusaient de coopérer, le CIO menaçait de suspendre toute l’équipe des États-Unis. Ces deux sportifs se sont donc sacrifiés pour défendre leurs droits.
Les choses n’ont fait qu’empirer pour eux après cet événement. Ils ont été boycottés par les médias et ont commencé à recevoir de manière quotidienne des menaces de mort. Ils ont eu du mal à trouver de nouveau un travail et leurs femmes ont mis fin à leurs jours ou ont fini par divorcer face à cette pression quotidienne. Un destin tragique pour ces sportifs qui voulaient juste être entendus.
Il a fallu attendre les années 1990-2000 pour que leur geste soit reconnu comme un acte de courage et que les deux athlètes soient réhabilités aux Jeux Olympiques.
Néanmoins, cela ne sera pas suffisant pour John Carlos qui continue de se battre pour que cet acte soit honoré et que l’on modifie la règle 50 de la Charte Olympique. La décision qui a été prise par le CIO suite à ce geste est selon lui injuste et va à l’encontre de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Le combat omniprésent de John Carlos afin d’honorer cet acte
Près de 50 ans après cet événement, l’image reste ancrée dans les esprits. Deux poings levés, vers le ciel, pour être jugé à leur juste valeur. À croire que la victoire leur était égale.
John Carlos a donc rejoint des sportifs américains auprès du Conseil des athlètes du Comité olympique et paralympique des États-Unis (USOPC) pour appeler le CIO à modifier la règle 50 de la Charte Olympique. Ils veulent supprimer les règles interdisant aux athlètes de manifester leurs opinions politiques, religieuses ou raciales pendant les Jeux afin de retrouver leur liberté d’expression.
Selon l’USOPC « les Comités internationaux olympique et paralympique ne peuvent continuer à punir ou écarter les athlètes qui prennent la parole pour défendre ce en quoi ils croient, en particulier quand ces convictions incarnent les objectifs de l’olympisme ».
D’autant plus que le racisme est encore très présent sur le continent américain. Le tragique décès de George Floyd le 25 mai dernier lors d’une interpellation nous rappelle l’abus de pouvoir non justifié de la part de certains policiers.
De nombreuses protestations ont donc eu lieu suite à cet acte, ce qui a encouragé Carlos à faire sa demande auprès du CIO afin de laisser les citoyens s’exprimer, même sur la scène sportive. Aucune discrimination ne doit être subie, cependant si la règle 50 de la Charte Olympique venait à être supprimé, chaque sportif pourrait manifester son appartenance politique ou religieuse, ce qui pourrait détourner le principe de la trêve olympique mis en place par le CIO en 1992. Ce principe même appelle à cesser tous les conflits dans le monde durant les Jeux, les objectifs principaux de cette trêve étant de permettre de nouvelles perspectives de dialogue et de promouvoir les idéaux olympiques pour servir la paix. Le débat est d’actualité.
Une possible révision de la règle 50 de la Charte Olympique ?
Il semble en réalité que le CIO fut pris par surprise lors de cet événement durant les JO de 1968. Pour être en accord avec la règle de la Charte, le CIO a sanctionné les deux sportifs et a décidé de maintenir les JO.
Le CIO utilise les Jeux comme intermédiaire pour faire passer des messages politiques et notamment le respect des valeurs de l’Olympisme à travers les règles édictées dans la Charte Olympique. Il faut tout de même s’interroger : serait-il plus important de faire primer le maintien des JO sur la ségrégation? La règle 50 de la Charte Olympique va-t-elle à l’encontre de la liberté d’expression de chaque sportif ? C’est au tribunal d’en déterminer.
Ainsi, une balance doit être faite entre l’égalité de traitement de tous les sportifs et la liberté d’expression. Le CIO ne doit pas, lors de sa prise de décision, se laisser influencer par l’appartenance d’un sportif à un mouvement politique ou religieux, mais il doit également leur laisser la possibilité de s’exprimer sur leur appartenance.
De ce fait, le CIO a précisé que les athlètes pouvaient le faire lors de conférences de presse ou encore sur les réseaux sociaux plutôt que sur la scène sportive. Thomas Bach, le président actuel du CIO, a également rappelé récemment, que les manifestations d’opinion de la part des athlètes ne seraient pas autorisées aux Jeux de Tokyo. La règle 50 de la Charte Olympique protège la neutralité du sport et doit être respectée. Les droits, comme la liberté d’expression, peuvent être assortis de certaines limites. Si le CIO autorisait des protestations sur un podium, il devrait toutes les accepter, ce qui pourrait être problématique.
Toutefois, il est possible que le CIO atténue sa position. Par exemple, il permet déjà aux athlètes de porter un bandeau sur leurs bras, notamment durant les matchs de football pour la lutte contre le racisme. Cela laisserait la possibilité aux athlètes de soutenir une cause tout en respectant la neutralité du sport.