Anatole Ngamukol vs. Stade de Reims
Football & droit pénal, lofteur & harceleurs
Le premier octobre prochain, Anatole Ngamukol sera partie civile face à deux personnalités du Stade de Reims : l’entraineur David Guion et le directeur général Mathieu Lacour. L’ancien joueur du club se considère victime d’harcèlement moral de la part des deux hommes qui ont ainsi fait l’objet d’une citation directe devant le tribunal correctionnel de Reims.
La situation s’avère inédite puisque malgré l’existence de cas analogues par le passé, aucun n’avait conduit à une prise de position de la justice pénale. Le futur jugement pourrait avoir un impact considérable tant de nombreux joueurs semblent se trouver chaque année dans des conditions similaires.
Dès lors, il convient de s’interroger sur la possibilité que les faits reprochés à Guion et Lacour correspondent aux éléments constitutifs du harcèlement moral, infraction pénale qui n’est pas dénuée de complexité.
Le loft, élément déclencheur
Une analyse des faits s’avère nécessaire pour comprendre comment l’entraineur et le directeur général d’un club professionnel peuvent se voir reprocher la commission d’une telle infraction.
La reprise de l’entrainement à chaque début de saison implique de façon quasi systématique une modification de l’effectif, synonyme de nouvelles arrivées mais aussi de départs. Or, dans l’attente de cette dernière possibilité, certains éléments vont être conviés à quitter le groupe professionnel afin de poursuivre leur préparation de manière séparée, ils sont ainsi mis en « loft ».
Le loft correspond donc à une mise à l’écart de joueurs qui ne sont plus désirés au sein de l’équipe. Rien n’anodin jusqu’alors puisqu’une telle pratique est constatée à chaque mercato dans l’attente du transfert de ceux que l’entraineur ne souhaite plus voir évoluer sous ses ordres.
Néanmoins, ce sont les conditions de cette mise en loft qui peuvent s’avérer problématiques. En effet, Anatole Ngamukol a été informé en mai 2018 que le club ne comptait plus sur lui. Une lettre lui indique un mois plus tard qu’il s’entrainera avec l’équipe réserve, courrier qui sera renouvelé chaque mois jusqu’en octobre, période à laquelle le joueur est licencié pour faute grave suite à des menaces qu’il conteste (1).
Ce dernier explique que le club lui a notamment refusé le droit de jouer les matches de la réserve afin de le forcer à partir (2).
La situation n’est pas sans rappeler celle de Sylvain Monsoreau, ancien défenseur mis au loft par l’AS Saint-Etienne en 2011 avec ses coéquipiers Boubacar Sanogo et Mustapha Bayal Sall. L’ex-troyen avait lui aussi été écarté du groupe professionnel, privé de maillot et d’équipements, interdit de place de parking et de billets de match (3). Si aucune décision n’était intervenue dans le domaine pénal, la Cour d’appel de Lyon avait accordé des dommages et intérêts au titre du préjudice moral du fait des actes répétés de harcèlement(4).
Le harcèlement moral au travail, infraction pénale complexe
Le harcèlement moral au travail est régi par l’article 222-33-2 du Code pénal. Ce dernier dispose que : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »
En droit pénal, une infraction est constituée par la réunion de deux éléments. L’élément matériel, correspondant au comportement effectivement réprimée par la loi, ainsi que l’élément moral qui s’entend de l’état d’esprit de l’auteur de l’acte, son comportement psychologique.
Au titre de l’élément matériel, le harcèlement moral au travail se compose en trois temps :
- Les agissements doivent être répétés : « (…) par des propos ou comportements répétés (…) »
- Ils doivent avoir pour but ou pour conséquence une dégradation des conditions de travail : « (…) ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (…) »
- La dégradation étant susceptible de porter préjudice à l’individu en question : « (…) susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (…) »
Les sanctions disciplinaires abusives étant également évoquées (6), rappelons que Ngamukol a subi un licenciement pour faute grave qu’il conteste.
A noter que la Cour de cassation réprime dans ce cadre le refus systématique d’accorder à un salarié les avantages accordés aux autres (7). Les joueurs mis en loft avec lui ont-ils dès lors connu un traitement similaire de la part du Stade de Reims ?
Les comportements répétés doivent simplement avoir « pour effet » ou « pour objet » une dégradation des conditions de travail, la Cour de cassation rappelant que le délit « n’implique pas que les agissements aient nécessairement pour objet la dégradation des conditions de travail » (8).
Le délit de harcèlement moral est consommé dès lors qu’une simple « possibilité » de dégradation existe (9).
Parmi les dégradations envisagées par le texte d’incrimination, une d’entre elle mériterait une particulière attention au regard des faits rapportés par Anatole Ngamukol : la compromission de l’avenir professionnel.
Réduire un joueur au rang d’amateur, l’empêcher de s’entrainer avec le staff de l’équipe première et de jouer des matches le weekend ne conduirait-il pas à tronquer sa préparation et dès lors, compromettre son avenir professionnel ? La question mérite d’être posée.
Toutefois, les comportements susvisés doivent être illégitimes pour être sanctionnés, ce qui n’est pas le cas lorsque l’employeur use de son pouvoir de direction (10).
Enfin, au titre de l’élément moral, il semblerait que suffise simplement un dol général, soit la volonté de commettre un acte que l’on sait interdit, puisque les termes « pour objet » ou « pour effet » empêche d’exiger chez l’auteur l’intention d’atteindre ladite dégradation.
Le tribunal correctionnel de Reims a donc la possibilité de rendre une décision d’une importance capitale dans le domaine sportif concernant une situation déjà problématique vis à vis de la Charte du Football Professionnel.
En effet, l’article 507 de celle-ci indique notamment au point numéro 1 que « (…) Sauf raison médicale, le club ne saurait maintenir aucun joueur sous contrat professionnel, sous réserve des dispositions prévues au 2. ci-dessous, à l’écart du dispositif mis en place au sein du club pour la préparation et l’entraînement collectif des joueurs professionnels ou élites (…) »
Le deuxième point précise que « (…) La mise à disposition de tout joueur sous contrat professionnel dans le 2ème groupe d’entraînement, selon les critères et conditions définis ci-dessus, doit s’effectuer de manière temporaire pour des motifs exclusivement sportifs liés à la gestion de l’effectif.
Elle ne doit en aucun cas se prolonger de manière régulière, permanente et définitive s’apparentant à une mise à l’écart du joueur contraire à l’esprit du texte et du contrat de travail du footballeur professionnel. (…) »
Enfin, le dernier point indique que si de telles conditions – lesquelles sont cumulatives – ne sont pas respectées, le joueur sera réintégré dans le premier groupe d’entrainement par la Commission juridique de la Ligue de Football Professionnel.
Malgré la saisine de cette commission et sa réintégration dans le groupe, Anatole Ngamukol souhaite donc obtenir gain de cause sur le terrain répressif. C’est donc à la juridiction rémoise qu’il revient la possibilité d’éclairer ou d’obscurcir l’avenir des futurs lofteurs.
Baptist AGOSTINI-CROCE
1. « Le conflit entre le Stade de Reims et Anatole Ngamukol se réglera bien devant la justice », France Bleu Marne, 7 mai 2019 : https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/le-conflit-entre-le-stade-de-reims- et-anatole-ngamukol-se-reglera-bien-devant-la-justice-1557247109
2. « Enquête : ces joueurs de football qui passent des lofts aux tribunaux », l’Equipe, 30 juillet 2019 : https:// www.lequipe.fr/Football/Article/Enquete-ces-joueurs-de-football-qui-passent-des-lofts-aux-tribunaux/ 1044767
3. « Les rois du loft », France Football, 14 juillet 2015 : https://www.francefootball.fr/news/Les-rois-du-loft/ 574063
4. CA Lyon, 20 mars 2015 n° 14/02341
5. CA Nancy, 30 janvier 2002, ch. soc, n°01/02517
6. Crim, 25 septembre 2007, B n°222 ; JCP 2007, II, 10004
7. Crim, 6 février 2007, B n°29, RSC 2007, p.818, obs. Y Mayaud 8 Crim, 24 mai 2011, DP 2011, n°118
9. Crim, 23 janv. 2018, n° 16-87.709
10. Crim, 18 janvier 2011, JCP 2012, 310, note P. Mistretta
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[…] Le présent article fut publié le 30 septembre 2019 chez nos amis de La Transversale. […]