Le pragmatisme, l’arbre qui cache la forêt tactique
Lorsqu’une idée de jeu mène à plusieurs victoires, cette dernière devient le paradigme dominant dans le football. Nous avons alors deux types d’entraineurs: ceux qui cherchent à l’imiter pour gagner à leur tour et ceux qui cherchent à s’y opposer afin de mieux le contrer. Le trait est souvent grossis à tort, afin d’englober les entraineurs qu’on ne peut classer dans les deux catégories précédentes, il s’agira donc d’une lutte entre les romantiques et les adeptes de la culture du résultat. Les entraineurs rentrant dans cette dernière catégorie seront nommés les pragmatiques. Parfois ces luttes intestines se matérialisent autour de deux entraineurs comme ce fut le cas pour Menotti et Bilardo en Argentine au siècle dernier ou Guardiola et Mourinho plus récemment. Le mot pragmatisme est utilisé par de nombreuses parties prenantes du football, parfois à raison et souvent à tort. Dans ce cas, qu’est-ce qu’un entraineur pragmatique ?
Une définition adaptée au football
Le pragmatisme correspond à l’attitude de quelqu’un qui s’adapte à toute situation, qui est orienté vers l’action pratique. Le pragmatisme est peu ou prou l’opposé du romantisme qui est un comportement, un caractère de quelqu’un qui se laisse dominer par l’imagination et se passionne pour les entreprises, généreuses mais utopiques. A première vue il serait donc juste d’opposer pragmatique et romantique.
Cependant, le métier d’entraineur de part ses prérogatives s’accorde plus avec la première définition qu’avec la seconde. En effet peu importe la stratégie/idée de jeu mise en place, la tactique qui en découle doit remplir deux impératifs selon C. Ancelotti. D’une part, un système tactique idéal doit être concret, c’est-à-dire qu’il doit s’adapter aux joueurs disponibles et les mettre dans les conditions adéquates afin qu’ils puissent exprimer de manière optimale leurs qualités. D’autre part, celui-ci doit être efficace, ce qui regroupe le fait d’être équilibré, d’être flexible – plus précisément de s’adapter aux exigences du match et aux différentes dispositions tactiques des adversaires – et être rationnel, ce qui se rapproche des caractéristiques d’un système tactique concret.
Un entraineur qui prétend au haut niveau ne peut donc être un romantique car cela rentre en totale opposition avec le système tactique idéal. De plus, nombreux sont les entraineurs arrivés dans des clubs avec des idées de jeu et des systèmes préconçus et qui ont dû les modifier afin de s’adapter à l’effectif en présence et leurs qualités. Dans le football, le pragmatisme ne prend donc aucunement en compte le paradigme de l’entraineur et il n’existe pas de réelle opposition avec le romantisme qui est marginal.
Le romantisme n’existe pas au haut niveau
Afin de vaquer au mieux à leur mission – gagner des matchs – les entraineurs se doivent d’être pragmatique. Le romantisme n’existant qu’à la marge, nous nous devons de qualifier les protagonistes de cette lutte intestine au football autrement. Celle-ci peut être qualifiée d’opposition entre le jeu de position, dont l’idée principale réside dans l’attaque placée/la possession de balle, et le jeu de transition, qui se base sur les transitions offensive rapide/la contre-attaque.
Les adeptes du premier furent ceux qu’on qualifiait de romantique tandis que les autres furent qualifiés de pragmatique. Cependant, le jeu de position ne déroge pas à la règle du pragmatisme. Sa mise en place nécessite de respecter les conditions précédemment évoquées d’un système tactique idéal. Il ne s’agit pas uniquement de se lancer à l’attaque de manière inconsidérée, de chercher l’esthétisme à tout prix, de défendre haut afin de satisfaire un idéal offensif. Il s’agit de maximiser ses chances de marquer et donc de gagner. Au-delà de l’adaptation, cette démarche s’inscrit dans une recherche de ce qui fonctionne effectivement afin d’atteindre la victoire. Le fer de lance du jeu de position, Pep Guardiola, se considère lui-même comme un pragmatique. Les adaptations et les évolutions de son style de jeu en fonction du championnat et des joueurs à disposition vont dans le sens de cette affirmation.
Le choix de l’un ou l’autre paradigme, variantes comprises, est surtout régi par la voie que l’on pense la plus efficace pour gagner et les joueurs qui sont à disposition. Ce choix n’a donc rien de romantique même si d’autres paramètres rentrent en compte, tels que la sensibilité de l’entraîneur ou les envies du public, qui eux peuvent s’apparenter à une réminiscence romantique dans un monde qui n’y est pas adapté.
Pour gagner un match de football, il faut marquer, et pour marquer il faut avoir le ballon. A l’instant t, si je veux marquer, il me faut le ballon dans les pieds, sans vouloir enfoncer de portes ouvertes. Donc, à une échelle de tout un match et non plus simplement au moment t, en ayant une très grande possession de balle, j’augmente mes chances de marquer. Dans le même temps je réduis également les chances de l’adversaire de marquer puisque lui-même, pour marquer, devra avoir le ballon. L’analyse et la démarche ne prenne nullement en compte le style de jeu, la beauté ou la qualité du spectacle à offrir aux observateurs. Le but du jeu est de gagner, et c’est strictement cela qui motive la manière de jouer, rien de plus. La manière de faire n’est qu’un moyen. Le style n’est que le comment, pas le pourquoi.
– Pep Guardiola