Pronojustice #1 : Guy Novès vs FFR
Prono : la Fédération Française de Rugby sera condamnée à verser 3 millions d’euros à Guy Novès
- Le 27 décembre 2017, Bernard Laporte, président de la Fédération Française de Rugby, opérait un plaquage cathédrale tête-la-première dans-le-gazon à Guy Novès, ex-entraineur du XV de France, en annonçant devant les journalistes le licenciement de ce dernier pour faute grave. L’homme « aux mille matchs » compte bien lui rendre la politesse, mais cette fois devant le tribunal des Prud’hommes (tribunal des litiges entre employeurs et salariés), en demandant 3 millions d’euros de dommages et intérêts.
- Les subtilités du droit social nous donnent encore une fois les clefs de compréhension de l’affaire.
- Il faut rappeler ici que tout comme les joueurs (v. Gérard #1 – Neymar), Guy Novès était un salarié : il fournissait des prestations (entraînements) contre rémunération (30 000 € mensuel – le budget shampoing de Neymar) tout en étant subordonné à son employeur (article 1221-2 Code du travail), la Fédération Française de Rugby. À ce titre, il avait le droit de bénéficier des règles protectrices du licenciement, tout comme un salarié cadre chez Fleury Michon.
- En effet, si l’employeur souhaite licencier son salarié, le Code du travail exige que ce dernier rapporte la preuve d’une « cause réelle et sérieuse » (article L.1232-1 Code du travail). Celle-ci peut trouver sa source soit dans un motif économique (article L.1233-3 Code du travail : il faudra prouver l’existence de difficultés économiques), soit dans un motif personnel (article L.1232-1 Code du travail) : il faudra prouver qu’une « cause inhérente à la personne du salarié » a justifié le licenciement de ce dernier (que « c’est de la faute du salarié »).
- S’agissant du motif personnel, les justifications les plus courantes apportées par les employeurs sont la faute grave du salarié et l’insuffisance professionnelle, la distinction entre ces fondements étant fondamentale pour des raisons 1 – de preuve et 2 – d’indemnités.
- 1 – La preuve de la faute. En effet la preuve d’une faute grave est très exigeante car c’est un motif disciplinaire. Par exemple, Guy Novès aurait pu commettre une faute lourde s’il avait volé dans la caisse de la FFR pour s’acheter un poster de Dan Carter, s’il s’était bourré la gueule en conférence de presse pour oublier la 3ème défaite de rang contre les Iles Fidji ou encore s’il avait effectué l’hélicoptère sur le bureau de son patron (B. Laporte aurait-il boudé son plaisir ? La question mérite d’être posée). L’insuffisance professionnelle n’étant pas un motif disciplinaire, elle est plus facile à prouver, particulièrement en droit du sport où les mauvais résultats sportifs suffisent généralement (Thierry Henry pourra vous en parler plus en détails). Or les avocats de la FFR ont choisi d’invoquer l’existence d’une faute grave – sans aucun élément de fait à l’appui – plutôt que l’insuffisance professionnelle, choix qui n’est cependant pas si surprenant quand on s’intéresse à ses conséquences en ce qui concerne les indemnités de départ.
- 2 – Conséquences en terme d’indemnités. Par principe, en l’absence de faute grave, le salarié doit être convoqué à un entretien préalable (article L.1232-2 Code du travail), se voir notifier son licenciement (article L.1232-6 Code du travail) et percevoir une indemnité de départ (article L. 1234-9 Code du travail). Par exception, s’il commet une faute grave, le licenciement est immédiat, sans entretien et sans indemnité (article L. 1234-9 Code du travail).
- Explication : fort est à parier que le bon Bernard, las de voir le 15 de France prendre des fessées contre les Samoans et les autres équipes de barmans, a voulu se débarrasser rapidement et surtout gratuitement de Guy Novès. Il l’a donc viré sans entretien préalable, sans notification et sans indemnité de départ en inventant une faute grave de toute pièce au lieu d’invoquer ses résultats catastrophiques. Cette hypothèse est d’autant plus probable que les caisses de la FFR accusaient à l’époque un sacré coup dur. Elle risque cependant de payer très cher cet écart procédural. En effet, en l’absence de faute grave, le licenciement sera jugé « sans cause réelle et sérieuse » ce qui ouvre droit pour le salarié à une indemnité calculée au prorata de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise. Or, selon l’article L.1235-3 Code du travail, Guy Novès étant resté salarié de la FFR plus de 30 mois, l’indemnité versée sera comprise entre 90 000 € (3 mois de salaire) et 600 000€ (20 mois de salaire). À cette indemnité se cumuleront des dommages et intérêts liés à la sanction du non-respect de procédure (entretien et notification, article L.1234-5 Code du travail), d’autres au titre de divers chefs de préjudice (préjudice de notoriété, harcèlement moral) et surtout l’indemnité devant être versée en cas de licenciement sans faute grave de la part du salarié (article L1234-9 Code du travail), ce qui explique un montant total demandé très important.
- Si l’attitude de B. Laporte est contestable en l’espèce, on peut cependant légitimement se demander si Guy Novès mérite une telle protection : dans un procès qui ressemble plus à une vendetta qu’à la juste compensation d’un salarié, il semble que l’entraineur cherche surtout à repartir pactole en poche.
- Rendez-vous le 8 avril au tribunal des Prud’hommes de Toulouse pour la décision des juges en première instance.
Cote Novès : 1,3 – Cote FFR : 7,6