On ne peut plus célébrer ?
« Marquer un évènement par une cérémonie, une démonstration » : on ne pourrait mieux définir la célébration dans le football. La célébration vient après un évènement si rare, un évènement qui récompense une contre attaque concluante ou une construction bien ficelée, le but. Ce dernier est à la fois le fruit du travail collectif et le fait d’un•e seul•e joueur•euse, celui•elle qui réussit a faire passer le ballon derrière la ligne. Marquer des buts est le seul moyen de gagner, ce seul évènement peut changer le cours d’un match, le cours d’une histoire. Toutes ces raisons expliquent l’exultation dont naît la célébration. Celle-ci est commune à tous les football, de celui du dimanche matin à la ligue des champions. Elle lie toutes les personnes qui ont la passion du ballon rond, du joueur Fifa qui marque un but, aux rares joueurs qui empilent les buts semaine après semaine mais qui exultent toujours comme au premier, en passant par le supporter devant sa télévision ou au stade qui partage la joie de son équipe. La célébration revêt plusieurs formes, réfléchie ou instinctive, collective ou individuelle, elle est un savant mélange du reflet de la personnalité du célébrant et du contexte dans laquelle celle-ci est née.
Comment célébrer en toute légalité ?
Malheureusement, pour certains et heureusement pour d’autres, la célébration est un acte soumis aux lois du jeu. Celle-ci permet d’exprimer sa joie lorsqu’un but est marqué, mais sans excès. De plus, les célébrations orchestrées ne doivent pas être encouragées et ne doivent pas entraîner une perte de temps excessive. En revanche il est tout à fait possible de quitter le terrain pour célébrer, sans recevoir d’avertissement, à condition de ne pas contrevenir à la règle sur la perte de temps excessive.
Certaines célébrations entraînent un avertissement, c’est le cas lorsque le•a joueur•euse grimpe sur les grilles entourant le terrain, fait des gestes provocateurs, moqueurs ou offensants, lorsqu’il•elle recouvre sa tête ou son visage d’un masque ou d’un autre article analogue et lorsqu’il•elle enlève son maillot ou s’en couvre la tête. Comme pour tout évènement se passant sur un terrain, la décision de sanctionner ou de ne pas sanctionner est laissée à l’arbitre.
Cela provoque des situations cocasses comme pendant un match Lens-PSG en octobre 2014, Edinson Cavani est sanctionné d’un carton jaune pour sa célébration iconique « le sniper » qui est considérée par M. Rainville arbitre de ce match comme une provocation. El Matador sera sanctionné d’un deuxième carton jaune dans la foulée, synonyme de carton rouge pour avoir touché M. Rainville.
Si l’on suit le règlement à la lettre, exit les célébrations masquées d’Aubameyang, exit le partage de la joie avec les supporters même lorsqu’il n’y a pas de grilles (car cela peut être assimilé au fait de grimper sur les grilles), exit le chambrage du rival historique ou d’un quelconque adversaire, exit les chorégraphies regroupant plusieurs joueurs qui nous auront tant fait rire, qui auront endiablé nos parties de Fifa et doublement exit aux célébrations où l’on montre son maillot retiré au préalable aux supporters adverses ou à ses propres supporters. Une fois toutes les célébrations interdite retirées, il en reste si peu même si les joueurs réussissent à se renouveler tout en restant dans le cadre.
La célébration, une espèce en danger ?
Les années passent, le football rapporte de plus en plus, toujours aux mêmes soit dit en passant, mais celui-ci s’aseptise pour plaire au plus grand nombre et donc rapporter toujours plus. Tout y passe, des interviews aux supporters en passant par les célébrations, oui même les célébrations. Dans une ère ou tout geste est enregistré, analysé, décortiqué sous tous les angles possible et imaginable, il est normal que la célébration ne puisse y réchapper.
Au début du football, il n’y avait rien, seulement 11c11 joueurs voulant taper la balle à tout prix sans une quelconque organisation. La lumière vint une première fois lorsque l’organisation et les passes se démocratisèrent. Elle vint une deuxième fois du Brésil, où les personnes noires et métisses ont inventé le dribble, une feinte, permettant d’esquiver les charges des personnes blanches jamais sanctionnées par l’arbitre. D’instrument de « survie » dans le football d’antan, le dribble est devenu dans le football d’aujourd’hui une arme destinée à l’humiliation lorsqu’il est utilisé par des maîtres en la matière. Combien de joueurs humiliés/chambrés par les dribbles chaloupés de Ronaldinho ou de Neymar alors qu’il existait une autre solution, au grand bonheur des supporters, des réalisateurs et le mien. Pourquoi sanctionner les célébrations qui chambrent un adversaire et pas les dribbles alors ? Ces célébrations rentrant dans un folklore inhérent au football, ces célébrations qui permettent aux joueurs de faire comprendre aux supporters qu’eux aussi aiment le club, qu’eux aussi comprennent les enjeux de tels ou tels matchs, ces célébrations qui permettent à un joueur de relâcher certaines frustrations sans violence.
Quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense, football et politique seront toujours liés. Le stade est historiquement un lieu d’expression politique, une tribune privilégiée car médiatisée et avec peu de présence policière donc de répression. Au détracteur de la politique dans les stades, le football est un sport dont l’essence même est une lutte entre le football bourgeois et le football ouvrier. De plus, le mouvement ultra – qui donne vie et voix à nos tribunes – est un mouvement à l’origine politique et certains chants sont inspirés de slogans utilisés lors de manifestations. Même des groupes se revendiquant apolitique font de la politique dans les stades, le meilleur exemple sont les banderoles dénonçant les institutions du football. Si les supporters le font, pourquoi les joueurs ne pourraient pas profiter de cette tribune eux aussi ? Certains s’y sont aventurés, non sans polémique, la célébration de « l’aigle albanais » de Shaqiri lors d’un match contre la Serbie en est le meilleur exemple. Sous prétexte de plaire aux plus grand nombres le football ne devrait pas être dénaturé, surtout pas pour quelques billets de plus.