Le polo est-il vraiment un sport de riche ?
Alors qu’un des derniers matins de novembre laisse tomber quelques écharpes de brumes sur les coteaux de la banlieue de Chantilly, Balthazar de Baudreuil (27 ans) nous accueille dans son manoir familial. Nous tairons le lieu exact de la demeure centenaire, car « vous comprenez avec les camps de migrants et les Romanichels, le Cézanne du salon n’est plus à l’abri : la paix du christ c’est le dimanche à l’église Saint François avec un polo Ralph Lauren noué sur les épaules, pas dans mon jardin ».
Balthazar a pris contact avec notre rédaction pour tirer un coup de gueule. : depuis plusieurs mois quelques roturiers (avec parfois un nom en une syllabe) viennent polluer le club-house du Polo Chantilly Club. « Le polo est un sport de riche et ça doit le rester » lance-t-il après avoir congédié sa gouvernante. Il nous glisse « elles sont formidables ces Philippines, elle paye les études de ses enfants avec les étrennes, vous saviez vous qu’il y avait des écoles aux Philippines ? ».
Après avoir pris une gorgée d’un modeste Château Petrus 1986, il reprend « vous comprenez, je n’ai rien contre les gens qui ne sont pas bien nés, c’est simplement que je les déteste. Ils empestent le mobilier Ikéa et le déodorant Axe, ça effraie les chevaux ! ». Puis, pensif, et effectuant un mouvement circulaire avec son verre, il murmure : « mais où trouvent-ils l’argent bordel de merde ? ». Il regarde les portraits taciturnes de ses ancêtres trônant sur les murs du salon, en quête d’approbation : « Hein oncle Philipe ? Où est-ce qu’ils la trouvent ? Je vois mal comment des smicards arrivent à acheter des pur-sang argentins avec la surface financière d’une épicerie à Barbès ! ». Il soupire. Mais soudain, une lueur illumine le regard vitreux du jeune rentier.
« À moins que… » pense-t-il tout haut en se resservant un verre. À ce stade il est nécessaire de rappeler que Balthazar, après avoir redoublé deux fois sa première année à l’Ecole Hôtelière de Lausanne (il possède la double nationalité Suisse), a atterri dans le Mastère Spécialisé « Gobal Governance and Digital Banking » de l’ESCP Europe : le financement ça le connaît. Il reprend : « ….à moins que ces félons de banquiers chez Lazard continuent à proposer des doubles poneys roumains en leasing ». Il réprime alors un relent et vocifère « en tout cas ça me dégoûte ! Ils arrivent avec leurs pantalons beiges Zara et leurs maillets tout droit sortis de la Fnac éveil et jeux ! Ils l’ont trouvé où leur licence ? » – il hurle à présent – « DANS UN KINDER SURPRISE ? ».
Afin de calmer Balthazar nous l’interrogeons sur les moyens dont il dispose pour mettre fin à cette épidémie. « Écoutez j’avais bien pensé à remettre au goût du jour le droit de cuissage, mais je pense qu’il serait plus efficace de ré-instaurer la dîme pour les métayers et leur couper un doigt à chaque fois qu’une mensualité n’est pas honorée. Vous pouvez être certain qu’au bout de quelques mois ils ne pourront plus tenir un maillet ». Balthazar jette un coup d’oeil furtif à son Omega et s’écrie « Merde je rejoins Pap’s à l’hippodrome de Longchamps dans une heure, on va voir notre dernier poulain faire ses premières foulées. Il y a l’afterwork Jeuxdi après, vous prendrez bien quelques bouteilles de Minuty avec mes copains ! ». Nous refusons poliment et laissons Balthazar filer dans la Mini Cooper cabriolet de « Mam’s ».
Dans le TER retour en direction de Gare du Nord, entre lépreux, je conclus mon article avec aigreur et amertume : le polo n’est peut-être plus un sport de riche, mais c’est toujours un sport de con.