COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE « ÉCHECS PASSÉS ET AVENIR DES…
Le fiasco de l’affaire Mediapro a été un réveil brutal pour le football français, confronté depuis à une crise dans la négociation de ses droits TV. Alors que la diffusion du football en France connaissait une croissance exponentielle ces dernières années, avec des contrats constamment revalorisés, l’appétit des acteurs, l’explosion du nombre de diffuseurs et les nouveaux modes de consommation du sport ont conduit à une implosion. Le système sportif ultra dépendant des droits télévisés se retrouve au pied du mur.
Pour intervenir sur le sujet, étaient réunis Wladimir Andreff, professeur d’économie et spécialiste sur la crise du financement du football européen, Cédric Roussel, député, président du groupe d’études « Économie du sport » et rapporteur de la mission parlementaire sur les droits audiovisuels sportifs, et Antoine Feuillet, maître de Conférences à l’Université Paris-Saclay et responsable en Management du Sport. Les débats étaient animés par Hayk Keshishian, avocat au barreau de Paris.
A. LA COMMERCIALISATION DES DROITS TV ET LE FINANCEMENT DU FOOTBALL
1. À Wladimir Andreff : Pouvez-vous nous expliquer la place des revenus télévisuels dans le financement du football français et européen ? Autrement dit, de quelle manière les droits TV financent-ils le football ?
Les droits TV occupent aujourd’hui une place centrale dans le financement du football professionnel. En France, en Europe (Big 5 – France, Italie Allemagne, Espagne et Angleterre), c’est en général la première source de financement dans les sources totales des ligues. On parle même de télé dépendance dans les revenus des clubs. Cela appelle deux autres commentaires :
L’origine de ce phénomène : il provient d’une première mutation dans le modèle de financement du football européen, intervenue dans les années 90. Le financement des Big 5 est passé de ce que nous appelions le modèle de SSSL au modèle du MMMG. Le modèle SSSL est le modèle d’autrefois, où les clubs étaient financés principalement par les recettes au guichet (spectateurs) complétées par les sponsors et les subventions municipales. Sauf que deux de ces sources de financement du modèle SSSL sont entrées en crise à partir des années 90, la part des spectateurs dans les revenus totaux n’ayant cessé de diminuer depuis lors. Aujourd’hui elle représente seulement 10% des revenus. En outre, les subventions municipales ne sont généralement plus autorisées en raison des règles européennes en matière de concurrence, et quand elles existent elles ne représentent qu’un infime pourcentage du financement. Nous en sommes donc arrivés au modèle MMMG, pour Media (droits télévisions), Merchandising (capacité des clubs à vendre les maillots ou autre à leur effigie, qui est une source nouvelle à la fin des années 90), Magnats (cela peut être des oligarques qui ont fait des apports substantiels, fonds d’investissements), Marché, Global (sources de financement internationales).
Ce modèle a aujourd’hui atteint des limites, qui n’expliquent pas entièrement l’affaire Mediapro mais elle trouve aussi sa place dans ce contexte. D’abord il existe un moindre consentement à payer de la part des consommateurs d’émission de football télévisés. Ceux-ci apprécient de moins en moins de devoir s’abonner, notamment en raison du coût que cela représente. Ensuite les nouvelles technologies permettent à quiconque de regarder un match de football en streaming. Ce streaming peut être payant (mais beaucoup moins cher qu’un abonnement), mais aussi gratuit s’il est illégal.
Aujourd’hui, les chaînes de télévisions qui achètent les droits aux ligues du Big 5 se sentent et sont de plus en plus concurrencées dans la diffusion de matches de football, par des plateformes et peut être aussi par l’arrivée des GAFAM (Amazon lorgne par exemple de plus en plus sur la diffusion d’événements sportifs). La concurrence est beaucoup plus forte et va probablement conduire les chaînes à perdre des parts du marché des rencontres de football retransmises au profit des autres plateformes. Par-delà l’affaire Mediapro, il y a donc une crise plus profonde du financement du football européen.
2. À Cédric Roussel : En tant que rapporteur de la mission parlementaire sur les « Droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives », pouvez-vous nous décrire comment se déroulaient la négociation et la commercialisation des Droits TV en France avant l’affaire Mediapro ? Quelles étaient les tendances qui se dessinaient ?
Avant 2018, il y avait une volonté de rattraper un retard dans la valorisation des droits TV de Ligue 1 quand l’équipe nationale française avait atteint l’élite au niveau des résultats sportifs. L’attractivité de notre championnat domestique était moins « sexy » que notre équipe de France de football donc il y avait la volonté de la part des ayants droits de capitaliser sur ce succès et de rattraper ce retard en termes de valorisation de la Ligue 1 par rapport aux autres championnats.
En 2017, une étude auprès de BCG (Boston Consulting Group) commandée par la Ligue Professionnelle de Football avait estimé entre 700 millions et 1,2 milliard d’euros la valorisation de nos championnats, à savoir la Ligue 1 et Ligue 2, même si nous étions conscients que la principale valeur reste le championnat de Ligue 1.
En ce qui concerne la négociation des droits TV, le modèle utilisé en France est celui d’une vente aux enchères séquentielle à « l’aveugle » au plus offrant. Pour l’appel d’offres de 2021, le même procédé a été utilisé.
B. ANALYSE DU CAS MEDIAPRO
Synthèse des faits :
– En 2018, la LFP a organisé l’appel d’offres pour les droits TV de Ligue 1 et Ligue 2 pour la période 2020-2024.Mediapro, société espagnole avec des actionnaires chinois, a raflé 80% des lots pour plus de 800 millions d’euros, valorisant l’ensemble des droits TV de Ligue 1 et Ligue 2 à environ 1,150 milliards d’euros par saison. Il s’agissait d’une valorisation historique, de plus de 60% par rapport au précédent appel d’offre.
– Pour l’exploitation de ces droits et la diffusion des matchs, Mediapro a créé la chaîne Téléfoot, accessible via un abonnement de 25€ par mois.
– Deux ans plus tard, Mediapro est en incapacité de régler à la LFP les deux versements restants (total de 350 millions d’euros) et la liquidation judiciaire de la filiale française est prononcée le 20 octobre 2021.
3. À Antoine Feuillet : Vous qui êtes actuellement en train de rédiger un article de recherche sur le cas Mediapro, pouvez-vous nous expliquer les facteurs qui ont contribué à un tel échec ? Par ailleurs, nous avons pu lire à de nombreuses reprises que cet échec était prévisible (notamment en raison de la valorisation trop élevée, du modèle bancal de Mediapro, de l’absence de garantie exigée par la ligue…) – était-ce réellement le cas ?
Le 1er facteur est économique. Il est lié à l’appel d’offres puisque la commercialisation des droits TV se fait via un système d’enchères. Ce système est scellé par des premiers prix où l’offre la plus élevée gagne l’enchère.
Dans la théorie des enchères, à travers ce type de commercialisation, il peut arriver une malédiction du vainqueur : une surestimation du bien acquis et une perte d’argent à la suite de l’acquisition de ce bien. Cette théorie est robuste sur le plan expérimental mais habituellement peu illustrée empiriquement.
Mediapro remplit un peu tous les critères de cette malédiction du vainqueur de manière assez spectaculaire. Les droits TV ont augmenté de manière très forte en 2018 (à hauteur de 62%), Mediapro était un nouvel entrant qui a beaucoup investi. En réalité, la ligue 1 avait été valorisée à peu près au-dessus du milliard d’euros, la différence de 150-200 millions d’euros investie en plus par Mediapro illustre la malédiction du vainqueur que l’entreprise a ensuite pu subir. Le critère le plus surprenant est celui de de la faillite que Mediapro a subi moins d’un an après l’achat des droits TV.
Le 2e facteur est stratégique. A partir de 2015, Mediapro commençait déjà à perdre de son influence en Espagne en raison de la création d’une entreprise commune avec Bein Sports, qui s’est d’ailleurs terminée en 2019. Sur le marché national, Bein finançait les investissements de Mediapro, qui a donc dû se rabattre sur d’autres marchés comme l’Amérique du Nord ou l’Italie.
De plus, une erreur avait été commise sur l’appréciation de la valorisation et l’évaluation du marché français : le cabinet BCG mandaté par la LFP avait donné une fourchette qui était très large et pas vraiment pertinente.
Sur le marché français, les chaînes françaises à partir de 2018 ont commencé à se désengager sur le niveau national. C’est l’exemple de SFR qui était attendu pour investir et s’est désengagé en ne déposant pas de dossier au cours de l’appel d’offres. Aussi, Bein avait tendance à se rapprocher de Canal depuis 2015, ce qui est ainsi venu limiter l’intensité de la concurrence et la possibilité pour Mediapro de revendre les droits.
Une partie du business model de Mediapro consistait à revendre ses accords de distribution avec des chaînes de streaming.
L’élément le plus important dans la stratégie de Mediapro était sûrement cet accord avec Canal+, qui n’a pas été réalisé. Au niveau de la demande, Mediapro a certainement sous-évalué le niveau du streaming illégal et boitiers IPTV. Le modèle d’une chaîne 100% football était assez nouveau en France, et les droits de la Ligue des champions ayant été perdus par Mediapro, il n’a pas pu se développer sur ce terrain pourtant premium et qui rapporte beaucoup de téléspectateurs.
Mediapro s’est associé avec Netflix mais cela n’était pas suffisant parce que leurs concurrents avaient le même type d’accord (Canal+).
Le modèle de Mediapro reposait sur des prix plus élevés que BeinSports avec beaucoup moins de contenu, donc les 3 millions d’abonnés à obtenir en 4 ans étaient irréalisables. Viser 25 euros par mois pour un abonnement, c’était une stratégie très utopiste.
On peut également pointer du doigt des responsabilités de la Ligue de Football Professionnel (LFP) notamment en termes de garanties : il y avait deux niveaux de garanties supérieures qui n’ont pas été donnés par Mediapro. La seule garantie apportée était celle de la holding. Maxime Saada, directeur général de Canal+, avait même déclaré qu’il s’agissait d’un niveau de garanties plus faible que pour les enchères précédentes. La LFP avait donc été prévenue des difficultés rencontrées par Mediapro, mais elles n’ont pas été entendues.
Était-ce prévisible ? Oui, ce n’était pas soutenable : il n’était pas possible de faire des bénéfices ou juste d’atteindre le point d’équilibre. Mais ce qui n’était pas prévisible pour autant était que cela aille aussi rapidement, peut-être que le Covid y a participé. Néanmoins, le modèle économique en tant que tel n’était pas réaliste.
WLADIMIR ANDREFF: La réalité ne doit pas éliminer une autre question de fond : quelle est la valeur effective réelle de la Ligue 1 ? Est-ce que la Ligue 1 est un produit très intéressant et est-ce que c’est rentable ? A quel niveau de valorisation est-ce rentable ? Il y a eu une surestimation de la valeur avec le winner’s curse (malédiction du vainqueur).
CÉDRIC ROUSSEL: Tout ce qui nous a obnubilé est l’appréciation et la valeur du championnat. Il y a eu une forte confusion entre l’élément sportif et le contexte avec la mise en concurrence de certains acteurs.
Les acteurs ne sont pas sportifs mais audiovisuels. Ce qui fait le prix est ce que veut mettre l’acteur sur la table, c’est-à-dire son propre modèle. Or il existe une spécificité française, qui est le monopole de Canal+ jusqu’à présent. Le marché des droits TV est avant tout une relation entre la ligue professionnelle et son diffuseur, les torts doivent donc être évalués des deux côtés s’il y a un échec. Le marché de l’audiovisuel français concernant la diffusion du foot est particulier et fait qu’il y a des acteurs qui ne viennent pas sur le marché français comme BT, ce qui est un facteur de risque supplémentaire pour un nouvel entrant.
A aussi été introduit une clause de sous-licence, élément exceptionnel lors de cet appel d’offres. Cette clause était quelque chose qui participait nécessairement a un peu plus de spéculation. Il y avait donc tout pour spéculer, mais il y a eu une surévaluation du produit audiovisuel.
ANTOINE FEUILLET : La valeur du championnat à 1,2 milliards d’euros paraissait être beaucoup trop élevée, elle ne reflétait pas le marché français. La question de la valeur reste toujours difficile à juger puisqu’il n’y a pas de valeur intrinsèque sur ce marché économique concernant les droits TV.
Pour autant, comment l’évaluer ? On peut l’évaluer par rapport au score d’audience. C’est ce que fait Canal+ : Canal+ sait quelle est la valeur d’un match, ce qui permet ensuite une vision très précise de la valeur du produit final. On peut ainsi être assez proche en regardant les chiffres de Canal+. Le football français n’était déjà pas rentable pour Canal+, et si on arrive à des sommes de 800, 900 millions d’euros ce serait difficilement rentable.
WLADIMIR ANDREFF : Ce qu’on achète quand on achète la retransmission d’une ligue est un ensemble de matches. Le problème de la Ligue 1 c’est que des matches comme Clermont-Troyes sont difficilement rentables par rapport à la Premier League où chaque rencontre reste attractive.
Était-ce une surestimation de la valeur ou une sous-estimation du risque ?
Il y a un aspect subjectif qui ne prend pas, ou prend en compte mais à tort, l’engouement des téléspectateurs. La valeur du championnat est affectée par des phénomènes objectifs et subjectifs pour lesquels il est difficile de quantifier. D’où l’existence de phénomènes de malédiction du vainqueur.
CÉDRIC ROUSSEL : Le critère de valorisation des droits de retransmission ne relève pas d’un caractère sportif mais bien commercial, il est question ici de l’exploitation d’un produit audiovisuel, dépendant d’un modèle de distribution et de rentabilité qui lui est propre. C’est d’ailleurs en cela que Mediapro a péché, sur la qualité de sa communication sur une offre lisible et adaptée aux consommateurs français. Au terme de l’ensemble des auditions que j’ai pu mener lors de ma mission d’information, je suis convaincu que la volonté initiale de Mediapro n’était pas de créer une chaîne, mais bien d’utiliser l’option de sous-licences incluses pour la première fois lors de cet appel d’offres de 2018, pour « revendre » ses droits et/ou renégocier des accords de diffusion. Cette stratégie initiale n’ayant pas fonctionné, c’est ce qui a entraîné à mon sens la perte de confiance et le désengagement financier de ce projet par l’actionnaire chinois, le fonds souverain Hontai Capital qui provoquèrent le fiasco Mediapro.
Il faut maintenant penser à des réformes profondes et se donner les moyens d’une véritable régulation des acteurs de l’écosystème sportif professionnel et également amateur. Pour cela, une reconstruction « par le bas » s’impose. Repartir des fondamentaux, de ce que représente un club professionnel de sport sur son territoire en tant qu’aménageur de vie économique et sociale. C’est ce que je propose dans le rapport de ma mission d’information sur les Droits TV et le modèle de financement de notre sport.
C. SOCIÉTÉ COMMERCIALE ET AVENIR DE LA COMMERCIALISATION DES DROITS TV
Synthèse des faits :
– La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a intégré dans le Code du sport la possibilité pour les ligues professionnelles (dont la LFP) de créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’elle organise.
– Il est prévu que la société commerciale puisse accueillir des tiers dans son capital à hauteur de 20%. Autrement dit, la LFP devra nécessairement détenir au moins 80% du capital.
– La LFP a organisé un processus pour trouver cet investisseur, et, après avoir étudié plusieurs candidatures de fonds d’investissement, a conclu un accord en mars avec le fonds de private equity CVC.
– CVC va ainsi investir 1,5 milliard d’euros dans la société commerciale contre 13,5% de son capital.
4. À Cédric Roussel : Vous qui avez été à l’origine de la loi du 2 mars 2022 ayant permis la création de cette société commerciale, quel a été le raisonnement derrière cette évolution législative et quels sont les objectifs à terme du nouveau format de commercialisation des droits TV ?
Mon objectif premier était de conforter et renforcer notre principe fondateur en France qu’est la solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur, à l’issue d’une crise sanitaire et du fiasco Mediapro. Cette mesure a été celle plébiscitée par la LFP, la plus dépendante dans son modèle économique de la valorisation des droits TV.
La création d’une société commerciale pour la commercialisation des droits TV est possible par mes amendements pour tous les sports professionnels.
La société commerciale n’est bien qu’un outil au service d’un objectif de valorisation et n’est donc pas une fin en soi. Elle est censée amener davantage de compétences sur le papier. L’échec de Mediapro et le faible niveau de valorisation des droits TV de la Ligue 1 à l’international montraient qu’il y avait des facteurs d’améliorations à apporter. La création de la société commerciale peut être l’occasion d’y associer un tiers partenaire moyennant un apport en capital d’argent frais et privé, intéressé de fait à l’évolution de la plus grande valorisation des droits. Ces capitaux supplémentaires permettraient de remodeler le système économique actuel.
Le sport n’étant pas un bien comme les autres, j’y ai donc introduit des « gardes fous » parlerai à ce titre davantage dans cette loi d’une société commerciale « encadrée ». En effet, le sport est un bien commun, c’est pourquoi les statuts de cette société commerciale devront respecter les principes fondateurs de l’organisation de notre sport en France, à savoir : contrôle du capital et des droits de vote par l’ayant droit, la LFP ici dans le cas du football, l’approbation des statuts à la fois par le Ministère des Sports, la Fédération de la Ligue professionnelle concernés, l’inscription du principe de solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur conformément à l’esprit de la taxe Buffet actuelle.
5. À Wladimir Andreff : Cette nouvelle voie de commercialisation des droits TV constitue-t-elle une partie de la solution à la crise du financement du football que vous évoquiez ?
La société commerciale est certainement un élément de solution. Il y a des choses rassurantes : une société commerciale est une société qui n’est pas créée pour perdre de l’argent. Elle sera soumise à une contrainte budgétaire dure. Il n’est donc pas question qu’elle soit déficitaire de manière récurrente. C’est un élément rassurant. Par rapport à d’autres solutions ce n’est pas un mauvais choix, encore faut-il que cette société commerciale soit gérée comme il se doit.
La seule question est : est-ce qu’elle va vendre un produit rentable ? De ce point de vue, il faut dépasser la seule question des droits de télévision. La crise de financement du football européen est longue et structurelle : il ne suffit pas de changer ce qui se passe sur les droits de télévision. Le Journal of Sports Economics a consacré un numéro spécial entier sur « la crise financière du football européen » qui date de 2006, donc cette crise du financement du football remonte à très loin. La réforme en cours pose la question des autres réformes et règles nouvelles qu’il faudrait envisager : sur la qualité de gestion des clubs de football de ligues professionnelles par exemple. Ce n’est pas un cas propre à la Ligue 1, mais il y a certains clubs dont la gestion économique est discutable. Les clubs ne sont évidemment pas gérés pour dégager de gros bénéfices, leurs objectifs sont des biens communs, des éléments sportifs. Ce ne sont pas des sociétés financières mais il faudrait au moins que la quasi-totalité des clubs ne soit pas dans le rouge. Or, en Ligue 1, sur les 20 dernières années, il y a deux années seulement où les bénéfices des clubs bénéficiaires ont été supérieurs aux déficits des clubs déficitaires. Certains de ces clubs ne sont pas viables financièrement, mais en parallèle beaucoup de clubs professionnels dans le football sont gérés avec une contrainte budgétaire lâche : même s’ils connaissent dix années de déficit, ils trouvent des financeurs.
La question qui se pose est donc : Doit-on appliquer les règles de la faillite au football professionnel pour qu’enfin la valeur de ce football augmente ? Mais, un club en difficulté va être mis en liquidation et éventuellement en administration forcée et une fois les problèmes passés, il repartira dans la même direction et souvent avec le même nom.
6. À Antoine Feuillet : Vous avez rédigé en 2018 un article intitulé « Revenus télévisuels : le rôle politique clé de la ligue professionnelle » où vous mettiez en avant le levier stratégique fort de la LFP grâce au contrôle de la répartition des droits TV. Qu’en sera-t-il de ce levier dans le cadre de la société commerciale et de la gouvernance avec CVC ?
Les clubs peuvent toujours décider entre eux quelles seront les clés de répartition. Ce qu’il s’est passé en 2018, c’est que les clubs avaient décidé de modifier les clés de répartition si le milliard d’euros de droits TV était dépassé et c’est ce qu’il s’est réalisé. Le ratio de distribution entre 1er et dernier de ligue était de 3,8. L’objectif était de passer à 2,35 pour se rapprocher du modèle anglais où les droits TV sont répartis de manière assez égalitaire : le ratio y est d’environ 1,7. À cause de la crise du Covid et de l’affaire Mediapro, les clubs sont revenus sur cette décision et ont décidé de conserver la répartition précédente qui est relativement inégalitaire.
La répartition des revenus telle qu’elle existe aujourd’hui n’a pas toujours été la même : petit à petit, des critères ont été intégrés et ont abouti au fait que les droits TV se sont répartis de manière de plus en plus inégalitaire. La stratégie évoquée par les acteurs est le ruissellement, argument repris par Vincent Labrune qui justifie le fait de donner plus aux plus gros clubs. Il y a donc la conservation d’une répartition inégalitaire alors même que les plans de la LFP avaient été jugés comme inefficaces et un échec au niveau européen.
Pour ce qui est des fonds apportés par CVC, la répartition a été votée par les clubs. Celle-ci est assez peu discutée alors que l’on pourrait la remettre en cause pour des questions de dynamique sportive. Il est surprenant que le législateur ait permis qu’un acteur tiers puisse venir à auteur de 20% max mais on ne connaît pas les détails de cet investissement.
Peut-être qu’il s’agira d’une bonne affaire à court terme pour investir dans les infrastructures mais à long terme, mais il est dommageable de se priver de ressources à très long terme et de se dessaisir d’une partie du capital.
Cela pose quelques questions sur la manière avec laquelle on laisse un acteur extérieur prendre la propriété de la Ligue. Tous ces changements auraient pu être effectués par la LFP elle-même si elle avait investi dans des compétences directement. Finalement, le projet risque de conduire, au contraire de ce que l’on pourrait apprécier dans le sport, vers très peu d’intensité compétitive. Est-ce que l’on va avoir de nouveaux rivaux pour le PSG, l’OL et l’OM dans les prochaines années ? Pour moi, on va plutôt vers un renforcement des inégalités.
CÉDRIC ROUSSEL : CVC est un acteur déjà présent dans le domaine de la négociation des droits sportifs et qui a donc une réelle expertise. Comme dit auparavant, la société commerciale est un outil juridique qui peut permettre d’atteindre cet objectif de valorisation des droits TV de nos championnats de football. Mais, ce n’est qu’un des outils. Elle doit être accompagnée de plusieurs autres mesures participant à diversifier davantage les ressources du modèle économique actuel des clubs professionnels comme celles favorisant par exemple l’investissement des clubs dans leurs infrastructures, une meilleure exposition au plus grand nombre du sport sur les médias, une plus grande attractivité des stades, une incitation à plus de sponsoring et d’investissements de la part des entreprises de nos territoires…
Pour ce qui concerne l’effectivité de cette mesure, l’actualité et les dernières annonces de la LFP avec l’accord en cours avec CVC nous démontre que cette mesure est pragmatique !
Pour ce qui concerne la répartition du capital et du pourcentage d’ouverture du capital à CVC, ce sont ici les acteurs du football à savoir la LFP, les Présidents de clubs, qui en restent les décisionnaires et donc responsables. A titre personnel, ce n’est pas tant le montant apporté par le nouvel entrant qui serait CVC que l’employabilité de ces fonds par les clubs et la LFP qui m’intéressent.
Grâce aux discussions de notre loi visant à démocratiser le sport en France, j’ai pu initier l’instauration d’un dispositif de lutte contre le streaming illégal sportif repris dans son texte par notre ministre de la Culture Roselyne Bachelot et en vigueur depuis janvier 2022.
Depuis qu’il est opérationnel, ce dispositif a permis de bloquer 250 services de 63% d’audience sportive illicite via le streaming illégal. Ce dispositif fonctionne donc et permet de « sécuriser » davantage les investisseurs en droits TV sportifs, plus enclins à augmenter le montant de leurs investissements dans nos championnats français. De plus, il conforte une variable économique très impactante dans le modèle économique du football, comme on l’a vu suite au fiasco Mediapro.
Cela ne doit pas nous arrêter dans nos réflexions et nos réformes pour limiter davantage le niveau de télé dépendance et tendre vers plus de diversification.
D’un point de vue politique enfin, il faut continuer à garantir à tous les niveaux davantage de solidarité financière et d’équité sportive pour une plus grande intensité sportive de nos championnats mais aussi dans l’intérêt de plus de sport sur tous nos territoires. Tous les acteurs y ont leur part !
WLADIMIR ANDREFF : Au niveau des critères de répartition, il faut partir de l’arbitraire de la ligue. Avec certains clubs qui ont un objectif européen et d’autres non, cela marque nécessairement les inégalités.
Pourquoi n’y aurait-il pas parmi les critères, un critère additionnel qui sanctionnerait la mauvaise gestion et récompenserait la bonne gestion des clubs ? Ce serait un élément important de l’assainissement des clubs et la justification d’une nouvelle répartition des droits TV des clubs.
Si l’argent de la télévision sert encore à sauver les clubs déficitaires, cela veut dire qu’on est toujours en train d’entretenir la mauvaise gestion des clubs, à les renflouer.
7. À Cédric Roussel : Au sein du rapport de votre mission parlementaire, vous parlez d’un équilibre à trouver entre les contenus sportifs diffusés sur des chaines payantes et les matchs en clair qui ne constituent finalement que 5% de l’offre du sport en France. Pensez-vous que l’objectif d’augmenter le nombre de matchs en clair soit compatible avec « l’hyper-commercialisation » du monde sportif dans son ensemble, potentiellement renforcée par la nouvelle société commerciale, et, le cas échéant, comment pourrait-on atteindre cet objectif ?
L’arrivée d’Amazon est plutôt une bonne nouvelle puisqu’il y a dorénavant un accord de co-diffusion de la Ligue 1 et La ligue 2. L’exposition du sport au plus grand nombre participe au développement de sa pratique selon moi. Peu importe le sport. L’inflation des droits premiums assèchent les finances de nombreux diffuseurs et opérateurs, ce qui entraîne un effet d’éviction de beaucoup d’autres sports. Un service minimum audiovisuel sportif public permettrait à beaucoup de disciplines sportives moins médiatisées de se développer davantage économiquement notamment grâce à plus de visibilité pour leurs partenaires et plus d’émulation de leur communauté de fans et pratiquants.
Un grand merci à nos intervenants, aux participants ainsi qu’à Emma Favier, Justine Le Gall, Gwenaëlle Pot et Loris Witkowski de l’équipe La Transversale pour l’organisation de cette conférence