Première SCIC dans le monde du foot à Bastia
« L’île de Corse… j’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe » Rousseau. Étonner l’Europe, on ne sait pas, mais étonner le monde du football et des juristes, nous en sommes presque certains. Il est vrai qu’il est étonnant que près de 6000 personnes continuent d’assister aux matchs d’une équipe pourtant en 4e division. Mais c’est ça le Sporting, un soutien constant, qui ne faiblit pas et qui rend aujourd’hui possible la création de la première Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) dans le monde du football français.
Une SCIC comme apprentissage entrepreneurial de l’association
Les SCIC ont été créées par la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel. Cette création est à relier directement avec le développement d’une économie dite solidaire(1). Le fonctionnement de cette SCIC est mu par des intérêts dépassant largement ceux de ses membres. En ce sens, cette forme très particulière de coopérative se rapproche de l’association.
Comme le souligne le Professeur David Hiez, il existe deux traits singuliers chez la SCIC : son multi-sociétariat et son utilité sociale.
Le multi-sociétariat apparait comme une évidence dans le monde du football et il reflète l’hétérogénéité des acteurs prenant part au fonctionnement et à la vie du club. La SCIC réunit en somme toutes les personnes ayant la volonté de participer au projet, qu’ils soient supporters, salariés, bénévoles mais aussi les collectivités publiques.
L’utilité sociale apparait aussi comme une évidence, notamment pour Bastia. Le club est celui de toute la Corse, celui qui réunit les Corses de la pointe du Cap aux falaises abruptes de calcaire blanc de Bonifacio. Il ne s’agit pas ici de définir la notion très difficile à cerner de « l’utilité sociale ». Cependant, on peut retenir une définition assez intéressante donnée par Delmas-Marsalet qui fait de l’utilité sociale une prise en considération des activités que le marché délaisse. Les activités d’utilité sociale sont donc celles qui « pallient les insuffisances de l’économie de marché en fournissant, dans des conditions nécessairement désintéressées, des services qui ne sont pas assurés par le marché́, faute d’être rentables ou en pourvoyant aux besoins de ceux que le marché́ délaisse parce que leurs ressources trop modestes n’en font pas des clients intéressants »(2).
Les clubs de football se prêtent très bien à ce modèle. Le club est au cœur du tissu économique local. Tout d’abord parce qu’il embauche un certain nombre de personnes dans la zone géographique de rayonnement du club. Ensuite, parce qu’il fait vivre de nombreuses autres personnes du fait des partenariats commerciaux conclus. Il s’agit du boulanger qui fournit les loges en petits fours, c’est l’hôtelier qui reçoit les équipes adverses, c’est le restaurateur en face du stade qui profite de l’affluence et beaucoup d’autres.
Une SCIC comme modèle adapté aux spécificités d’un club de football
Le multi-sociétariat permet de répondre à l’hétérogénéité des acteurs au sein du club. Tout le monde y trouve un intérêt.
La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire permet à une collectivité territoriale de détenir jusqu’à 50% du capital d’une SCIC. Cette information n’est pas à négliger. Tout d’abord cela autorise une collectivité à être actrice au sein d’un club. Ensuite (et surtout) cela rassure les investisseurs. En effet, les deniers publics sont « un vrai gage de sécurité et de pérennité pour l’ensemble des participants à la renaissance de la structure »(3) .
Les supporters y trouvent aussi leur compte. On reproche souvent une rupture de dialogue entre les associations de supporters de leur club. Le système de la SCIC permet de faire assoir tout le monde à la même table. Et lorsque les supporters et les dirigeants marchent ensemble, le club peut aller loin. Bastia sait quelque chose du manque de dialogue et de sincérité de la part des dirigeants, le mensonge le plus célèbre demeure la réplique « Yapadataquant » ou encore la triste réplique « il est très difficile d’expliquer, ce qui, quelque part n’est pas inexplicable, mais est très difficile à expliquer ». La SCIC apparait alors comme une réaction naturelle à cette période sombre pour le club.
En ce qui concerne l’organisation de l’assemblée générale, il faut se référer au droit coopératif général. Tout dépend des statuts mais le système par défaut est séduisant puisqu’il est le miroir du multi sociétariat, laissant la parole à chacun des contributeurs. Ainsi « chaque associé dispose d’une voix à l’assemblée générale ». Cependant, les associés peuvent se réunir en collège. Chaque collège ne peut détenir plus de 50% des voix car cela reviendrait à rompre ce système de « check and balances » entre les différents acteurs : supporters, entreprises partenaires, fondateurs etc. Ainsi, à Bastia, le conseil d’administration est composé de cinq collèges : 38% des voix vont aux fondateurs du club, 22% aux entreprises partenaires, 20% aux supporters socios, 10% aux salariés du club et 10% aux collectivités publiques.
Une SCIC comme réappropriation territoriale du club
« La SCIC envoie un signal fort : un club appartient à tous les acteurs qui le font vivre « (4) . Ce modèle, diffusé à plus grande échelle, replacerait les clubs au cœur du tissu économique et social local. Parce que oui personne ne veut que la boulangerie du village disparaisse, personne non plus ne souhaite la disparition du club local. Au-delà de l’économie, au-delà du droit, le club est un formidable outil de cohésion sociale, un formidable outil de revitalisation des territoires. Donc quel est le modèle juridique le plus adapté à cette position sociale ? La SCIC. Alors oui peut être que ce modèle sera moqué par les grosses écuries de ligue 1. Mais en attendant, il s’agit peut-être d’une manière innovante de sauver et redynamiser le football amateur. A bon entendeur.
La SCIC est finalement vecteur d’une certaine vision de la France : celle d’un pays où les citoyens retrouvent localement un pouvoir décisionnel et celle d’un pays où la solidarité n’est pas qu’une devise mais un apprentissage de tous les jours.
(1) J.-L. LAVILLE, Politique de l’association, 2010, coll. Économie humaine, Seuil, p. 253 s.)
(2) DELMAS-MARSALET, concl. sous CE 30 nov. 1973, Assoc. Saint-Luc Clinique du Sacré-Cœur, req. nos 85598 et 85586, Dr. fisc. 1974. Comm. 531, et spéc. p. 22
(3) Institutions – Statuts – La SCIC : une alternative crédible pour les clubs en reconstruction – Gautier Kertudo – Luc Dayan – Gabriel Jobin – JS 2018, n°185, p.38
(4) Institutions – Statuts – La SCIC : une alternative crédible pour les clubs en reconstruction – Gautier Kertudo – Luc Dayan – Gabriel Jobin – JS 2018, n°185, p.38