Club de Bruges : Introduction en Bourse imminente
Ce jeudi, l’AGEFI a publié un article relatif à l’entrée en bourse imminente du club de football de Bruges, une première pour un club belge. Au-delà de la réalisation de l’opération, nous nous intéresserons ici aux buts et conséquences de cette entrée en bourse.
Retenons tout d’abord que le Club Bruges est un des plus gros clubs belges, très régulièrement en Ligue des champions et sur la première marche du podium en championnat. C’est également un club historique qui a 129 ans et 16 titres de champions. Cette histoire lui permet d’avoir un « nom » et donc une base de supporters solide et nombreuse (nous y reviendrons). Il est important d’insister sur cette donnée, car la performance financière d’un club de football est extrêmement dépendante de sa performance sportive[1]. Les performances régulières de Bruges au haut niveau lui permettent donc une certaine stabilité financière essentielle à sa cotation. Mais avant d’aborder ces sujets, un peu de terminologie.
Introduction en bourse et cotation directe
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une société cotée en bourse ? Il s’agit d’une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé. Ses titres vont alors pouvoir s’échanger entre n’importe quel acheteur et vendeur sur le marché financier en question, ici la bourse de Bruxelles.
Comment s’introduit-on en bourse ? Pour cela, une société a généralement la possibilité de recourir à deux méthodes distinctes : l’IPO ou la cotation directe[2].
L’IPO (Initial Public Offering) consiste en une offre au public de nouvelles actions émises par la société. Au moment de leur émission, ces actions sont admises aux négociation sur le marché concerné. Cette opération implique donc une augmentation du capital de la société et la dilution de la participation des actionnaires en place.
Contrairement à l’IPO, la cotation directe (direct listing) n’implique pas l’émission de nouveaux titres et, par conséquent, une augmentation de capital. Il s’agit simplement de l’admission aux négociations des actions existantes. C’est une opération de ce type que le Club de Bruges souhaite ici réaliser.
Quel intérêt pour un club de football à entrer en bourse ?
Les objectifs d’une entrée en bourse pour un club de football sont multiples.
Un des objectifs actuels du club de Bruges est de trouver le financement nécessaire à la réalisation de son projet de stade, pour un montant de 100 millions d’euros. Sa cotation a vocation à permettre de renforcer l’attractivité du club et offrir un meilleur accès aux marchés de capitaux. On suppose donc qu’à terme, une augmentation de capital ou une émission d’obligations aura lieu pour financer le projet.
Cette opération permet également de dégager des liquidités à ses actionnaires principaux – Bart Verhaeghe qui est à la fois président du club et principal actionnaire, Vincent Mannaert qui dirige la holding, Jan Boone, patron des biscuits Lotus, ainsi que Peter Vanhecke – qui détiennent ensemble actuellement 94,43% du club à travers une holding. Ces actionnaires vont ainsi pouvoir vendre une partie de leur participation sur le marché tout en restant largement majoritaires.
Par ailleurs, l’introduction permettra à très court terme d’augmenter le nombre d’actionnaires et d’accueillir notamment des supporters au capital (v. ci-dessous).
Mais les avantages de la cotation ne vont pas sans les risques qui y sont rattachés.
Quels risques à la cotation ?
Les risques classiques d’une cotation sont une dilution du capital qui diviserait les décisions des actionnaires et une dévaluation du cours de l’action. Concernant le Club Bruges, le risque d’une dilution est pour le moment faible, et ce précisément en raison des détentions importantes de l’actionnaire principal et de l’absence immédiate de levée de fonds. Le principal risque est donc aujourd’hui celui de la perte de valeur des titres du club, qui pourrait être causée par plusieurs facteurs.
Le premier facteur de dévaluation est d’abord inhérent au fait même qu’il s’agisse d’un club de football, et tient à une baisse de sa performance sportive. En effet, une baisse de celle-ci entraînerait une baisse d’attractivité du club, et son cours boursier s’en ressentirait[3]. En outre, un club de football engrange des revenus principalement par les droits TV, ainsi que par la vente de joueurs pour certains. C’est particulièrement le cas pour le Club Bruges, dont la balance transferts est positive de 60 millions d’euros en prenant le solde des 5 dernières années. Quant aux droits TV, il s’agit évidemment de son revenu le plus important. Un club participant à la Ligue des champions touche au minimum 20 millions d’euros rien que pour sa participation.
A titre d’exemple des effets de la performance sportive sur le cours de l’action d’un club, on peut se pencher sur la forte baisse observée sur l’action de l’OL Groupe[4]. Cette baisse peut être attribuée à la crise sanitaire, ayant provoqué l’arrêt précoce du championnat durant la saison 2019-2020 et l’absence de revenus liés à la billetterie, mais aussi à la crise des droits TV qui a frappé le football français. Cependant, il ne s’agit pas de la seule explication possible. Les performances irrégulières du club ces dix dernières années peuvent aussi avoir leur part de responsabilité dans cette perte. Un agent économique aurait en effet du mal à investir dans un club dont le cours est volatile en raison de l’irrégularité de ses performances.
D’autres facteurs influent également sur le cours d’une action. Par exemple, la signature de Cristiano Ronaldo à la Juventus avait entraîné une hausse de l’action du club, et ce en raison de la promesse de revenus marketing, d’attractivité et de résultats sportifs à la hausse liés à son arrivée. Toutefois, la non-concrétisation sportive (trois éliminations prématurées d’affilée en Ligue des champions), le montant très important de transfert pour un joueur de 33 ans (pas de revente à plus-value possible) et son salaire très élevé ont sans doute freiné l’enthousiasme du cours de l’action, qui s’est finalement déprécié depuis.
Ce caractère incertain et fluctuant inhérent à l’introduction en Bourse rappelle quel est l’intérêt du Club Bruges à s’assurer d’autres formes de revenus plus durables. A l’heure où le football européen pousse pour basculer vers une ligue fermée réservée principalement aux équipes des grands championnats, Bruges joue dans un championnat mineur. Il existe ainsi un risque important de disparition d’une partie des revenus du club liée aux compétitions européennes.
Enfin, il convient de rappeler qu’au-delà de ces aspects, il existe des risques liés plus généralement aux marchés financiers et à la conjoncture économique. Si ceux-ci ne concernent pas spécifiquement les clubs de football, il faut tout de même toujours les prendre en compte.
Pourquoi cette cotation pourrait être une bonne idée ?
Prenons tout d’abord la composition du capital. Les actionnaires actuels ont déjà confirmé leur intention de rester majoritaires, ce qui garantit une stabilité dans la gouvernance, essentielle pour l’attractivité. De plus, l’ouverture du capital aux supporters peut être bénéfique et souhaitable. En effet, ceux-ci ne sont pas des agents classiques intéressés par des dividendes ou une plus-value à la revente, mais investissent plutôt dans leur club pour que celui-ci maintienne ses performances sportives. Le Club Bruges ayant une base de supporters solide, il s’assure quasiment cette part stable de son actionnariat qui ne revendra pas ses titres dès qu’une plus-value sera possible.
Ensuite, le club a une forte stabilité financière et sportive qui lui assure depuis plusieurs années un Ebitda positif, chose peu fréquente dans le secteur du football. La société a en outre renégocié à la hausse ses droits TV avec son diffuseur, pour un montant supplémentaire de 20 millions d’euros par saison, somme qui s’ajoute à celle touchée en fonction de son classement en championnat. Sa participation régulière à la Ligue des champions lui assurant par ailleurs des revenus stables et solides. Ces éléments de stabilité financière nous laissent supposer que le titre sera attractif durablement.
On peut donc penser que cette entrée sur les marchés boursiers, rare pour un club de football, va amener la société à progresser durablement, à financer ses projets et à continuer d’exister sur la scène européenne. On peut toutefois formuler certaines craintes quant à sa performance boursière (cf. le cours de l’OL Groupe) et au risque d’une ligue fermée en coupe d’Europe qui lui couperait l’accès à une partie de ses revenus.
[1] Aglietta Michel, Andreff Wladimir, Drut Bastien, « Bourse et Football », Revue d’économie politique, 2008/2 (Vol. 118), p. 255-296.
[2] Cette liste n’est pas exhaustive. Une autre méthode d’introduction en bourse qui connaît actuellement une grande frénésie est celle du rachat de la société dont la cotation est envisagée par un SPAC (Special Purpose Acquisition Company)
[3] La baisse d’attractivité de l’action entrainerait un mécanisme de revente, qui avec l’offre demande d’actions, ferait baisser son cours. En effet, s’il y a davantage de vendeurs que d’acheteurs, le prix baisse car sinon la quantité disponible ne pourra être écoulée.
[4] Le cours de l’action de l’OL a perdu près de 30% en 1 an.