Le Poker est-il un « métier » à part entière ?
Devenu incontournable ces dernières années, le succès du poker ne cesse de croître, notamment avec les nouvelles technologies. Pour gagner, nul besoin de posséder la plus forte combinaison, il suffit de parvenir à le faire croire à ses adversaires, à les bluffer. L’existence de cette part de hasard et le gain que l’on peut remporter attirent de plus en plus de joueurs. Mais pour beaucoup, le poker va au-delà du hasard et demande une certaine faculté mentale.
Dans un arrêt du 21 juin 2018, le Conseil d’État a d’ailleurs établi que dès lors que la pratique devient habituelle, les sommes perçues sont soumises à l’impôt sur le revenu au titre de bénéfices non commerciaux (BNC), ce qui conduit à envisager le statut du joueur comme professionnel, et le poker comme un « métier » à part entière.
Le Poker, un jeu de hasard ?
Le législateur a défini le jeu de hasard comme « un jeu où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence pour l’obtention du gain ». C’est évidemment le cas concernant le poker. Lorsque nous sommes débutants, la notion de chance est déterminante et il est impossible d’en contrôler le caractère aléatoire. Autrement dit, l’aléa domine essentiellement. Il est difficile de maitriser le talent des autres joueurs, leur façon de jouer ou encore les cartes reçues durant le jeu. Mais cette part de hasard peut s’inverser pour un joueur professionnel. Plus il joue, plus il maitrise les règles et plus sa part de chance risque de diminuer.
Même si certains éléments comme la main ou les actions effectuées par les joueurs après un tour de table restent imprévisibles.
L’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse qui a été rendu début 2013 a pris le contre-pied en affirmant que le poker n’était pas un jeu de hasard. Il était reproché à quatre joueurs expérimentés d’avoir organisé des parties de poker ouvertes au public avec gains d’argent à la clé. Aucun arrêt n’a été rendu dans ce sens suite à notre arrêt précédent.
En décrétant en juin 2018 que le sommes perçues lors d’une pratique « habituelle » du poker seraient désormais soumises à l’impôt sur le revenu, le Conseil d’État a également remis en question la qualification du poker comme jeu de hasard : les gains obtenus grâce à des jeux de hasard étant habituellement considérés comme exceptionnels et donc non soumis à l’impôt sur le revenu. Il ne fait cependant que distinguer les joueurs habituels des joueurs occasionnels en considérant « qu’il en va différemment pour la pratique habituelle d’un jeu d’argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu’elle permet à ce dernier de maitriser de façon significative l’aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu’il développe et lui procure des revenus significatifs. » Il ne répond ainsi pas à proprement parler à la question qui fait débat : le poker est-il un jeu de hasard ? : un véritable coup de poker de la part du Conseil d’État!
Il est évident que les revenus seraient imposables s’il ne s’agissait pas d’un jeu de hasard.
Le Poker, un sport ?
Si le poker n’est pas un jeu de hasard, peut-il être considéré comme un sport ? Si tel était le cas, cela permettrait du moins de justifier la jurisprudence du Conseil d’État. Et puisque les revenus d’un sportif de haut niveau, dont le sport est le métier, sont imposables, ne pourrait-il pas en être de même pour le poker ?
Là aussi, le débat est d’actualité. Le poker a beaucoup évolué et pour certains, il est passé d’un jeu de casino de hasard à un véritable sport. Les compétitions de poker correspondent par exemple à un marathon de 10 heures de jeu pendant une semaine. Bon nombre de grands joueurs comme Daniel Negreanu font aujourd’hui des sessions d’échauffement par le sport avant un championnat. L’esprit de compétition est omniprésent avec une attitude fairplay des joueurs qui restent corrects entre eux tout en étant poussés par l’adrénaline de la victoire. Il est de fait évident que le poker s’est imposé comme un sport mental, un combat psychologique.
Comme le résume Stéphane Matheu (ancien tennisman professionnel devenu coach d’une équipe de poker) « le poker est un véritable sport au niveau psychologique et demande une capacité de concentration exceptionnelle, une aptitude gérer le stress en tout point identique (..) »
Toutefois, la notion de sport implique une activité athlétique qui exige des prouesses physiques. Or, cette dimension physique n’intervient pas directement dans le poker.
Cela est-il pour autant suffisant pour rejeter le poker en tant que sport ? Cela n’est pas aussi simple.
Pour l’International Mind sports association; « les activités exigeantes mentalement sont aussi épuisantes que les activités physiques »
Le Joueur de Poker professionnel imposable
Sans non plus répondre à la question « le poker est-il un sport ? » le Conseil d’État affirme qu’à partir du moment où un joueur de poker est régulier, il devient professionnel et ses revenus sont donc imposables.
Il faut néanmoins s’interroger, à partir de quel moment doit-on considérer le joueur régulier comme un professionnel? C’est à l’administration d’en déterminer la frontière. Pour le Conseil d’État, la pratique d’un jeu d’argent devient habituelle à partir du moment où le joueur maitrise « de façon significative » l’aléa inhérent à ce jeu par le savoir-faire qu’il développe. Mais l’aléa étant une notion imprécise, il parait compliqué de définir précisément ce moment. Le déclencheur fiscal pourrait être une combinaison de la régularité de jeu et de l’absence d’une autre activité en parallèle. Plusieurs indices peuvent être pris en compte, mais une fois encore, aucune certitude ne pourra jamais être dégagée.
L’incertitude de cette limite entre le joueur habituel et occasionnel de poker rend la décision du Conseil d’État bancale. Malgré les différents débats reposants sur cette notion, aucune réponse claire n’a été donnée par la jurisprudence. Le Conseil d’État n’a fait que rendre les revenus colossaux de certains joueurs imposables à partir du moment où les joueurs commençaient à gagner régulièrement. Mais qu’en est-il des joueurs qui gagnent une fois tous les trois mois une somme astronomique ? Qu’en est-il de la part de hasard qui reste omniprésente dans ce jeu ? Face à tant de réponses abstraites à toutes ces questions, nous pouvons nous interroger sur la pertinence de cette imposition sur les revenus.
Crédit photo : L’Express Magazine