Loi pour démocratiser le sport, quelles évolutions ?
Un an après son passage à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France a été adoptée par le Sénat. Si les sénateurs l’ont enrichie mais aussi amendée sur de nombreux points, une disposition nouvelle a cristallisé les critiques et a conduit à l’échec de la Commission Mixte Paritaire réunie le 31 janvier.
Le texte a donc repris la navette parlementaire et a déjà été adopté en 2e lecture par les députés. Nous reviendrons sur les apports et critiques soulevées par le texte adopté par le Sénat ainsi que les modifications opérées par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Développement de la pratique pour le plus grand nombre
Le Sénat a ajouté de nombreux éléments permettant de développer la pratique sportive, se plaçant ainsi dans la lignée des critiques formulées par le CNOSF qui avait regretté que de nombreux points soient restés non traités en 1e lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat a donc voté le déploiement du sport dans le cadre du parcours de soin coordonné, l’ouverture du sport sur ordonnance à de nouveaux publics, la favorisation de la pratique d’une activité physique quotidienne dès le primaire, le développement d’un parcours sportif à travers les plans éducatifs territoriaux. Il a aussi inscrit l’obligation de la création de douches dans les bureaux des entreprises afin de favoriser la pratique d’une activité sportive au travail. Néanmoins, cet amendement a été critiqué par le gouvernement qui invoque la nécessité d’en parler aux acteurs. Cette disposition a ainsi été supprimée lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale puisque ne serait pas avérée l’existence d’une corrélation entre la présence d’installations comme des douches et la pratique avérée d’activités physiques par les employés.
En ajoutant un article 1er quinquiès C, le Sénat a voulu interdire le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les compétitions sportives. Cela visait implicitement le port du hijab sportif par des femmes de confession musulmane. En effet, les sénateurs voudraient « mettre un coup d’arrêt au développement de l’islamisme dans le sport qui porte une atteinte grave aux valeurs républicaines et nuit au développement du sport. »[1]
D’après Michel Savin, rapporteur de la proposition de loi au Sénat, il existerait un flou juridique créé par la loi « séparatisme » de 2021 puisque depuis l’adoption de celle-ci, ce sont les fédérations qui décident pour leurs licenciées de l’interdiction ou non du hijab sportif. Ainsi, la FFF interdit le port du hijab tandis que la Fédération Française de Handball l’autorise. Au niveau international, la FIFA autorise le port du voile en compétition mais laisse aux fédérations nationales de football le choix d’interdire ou non le port du hijab sportif.
Rappelons que la laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres mais la liberté d’en avoir une. Elle n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public.[2] Si la laïcité autorise l’expression d’une opinion religieuse, on voit ainsi mal comment celle-ci pourrait être respectée lorsque l’on interdit le port du hijab sportif qui n’a pourtant pas vocation à troubler l’ordre public.
De plus, dès lors que la proposition de loi a pour titre et objectif de « démocratiser le sport en France », l’interdiction du port du voile en compétition semble plutôt s’opposer à cette vision, puisque l’on interdirait aux femmes la pratique d’une activité émancipatrice.
C’est d’ailleurs ce sujet qui a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire du 31 janvier, les députés et sénateurs ne parvenant pas à trouver un accord sur la question. L’Assemblée nationale, qui se prononce une nouvelle fois sur le texte, a ainsi supprimé cet article.
Renouvellement du cadre de la gouvernance des instances sportives ainsi que de leur représentation
En ce qui concerne la gouvernance des instances dirigeantes, les sénateurs ont reculé sur plusieurs points d’avancées du texte de l’Assemblée nationale qui prévoyait notamment la parité dans les instances dirigeantes au niveau national dès 2024 et au niveau régional à partir de 2028 ainsi que la limite du cumul des mandats à 3 pour les présidentes et présidents des fédérations.
En effet, le Sénat a voté la parité à partir de 2024 pour les fédérations comptant au moins 15% des licenciés d’un des deux sexes. Pour autant, en ce qui concerne les fédérations comportant moins de 15% de licenciés d’un des deux sexes, le palier serait de 40% en 2024 pour un objectif de 50% en 2028. Les sénateurs justifient d’ailleurs leur modification de l’article par le fait qu’ils suivraient la volonté du CNOSF qui réclame une progression par paliers. Pour eux, il s’agit de « tenir compte des réalités » puisque dans certaines fédérations, en raison d’un manque de licenciés de l’un des deux sexes, il serait compliqué, voire impossible, d’arriver à la parité stricte dès 2024. Néanmoins, le texte du Sénat conduit à reculer de 4 ans la mise en place de la parité au sein des instances dirigeantes alors même que l’on sait que pour atteindre la parité il est nécessaire de mettre en place des mesures contraignantes sans lesquelles les moyens visant cette parité ne sont pas mis en place. Les députés, lors de la nouvelle lecture, sont revenus au dispositif prévu par le texte adopté en 1e lecture.
Un autre recul majeur concerne la suppression de l’article 7 de la proposition de loi, qui visait à interdire le cumul des mandats de président ou de présidente d’une fédération au-delà de 3. La principale justification des sénateurs a été « que le processus est engagé » et qu’il serait « est en train de se mettre en place » puisque la moyenne est aujourd’hui de deux mandats à la tête d’une fédération. Ainsi, pour les sénateurs, cet article ne concernerait que peu de fédérations et il serait inutile de légiférer pour un nombre restreint de cas. Néanmoins, si la parité était l’objet de l’art. 5 de la proposition de loi, il est nécessaire de rappeler que le renouvellement des instances dirigeantes rentre également dans cet axe. En effet, aujourd’hui seules 13 fédérations sur les 114 existantes en France sont présidées par des femmes et uniquement 2 pour les fédérations olympiques. Si l’on ne permet pas un meilleur renouvellement des mandats de présidents, il faudra attendre encore longtemps avant que des femmes ne soient à la tête d’un nombre plus important de fédérations sportives.
Pour autant, d’après les sénateurs, la non-interdiction du cumul au-delà de 3 mandats pour les présidents et présidentes de fédérations serait justement tempérée par le nouveau mode d’élection prévu à l’art. 6 de la proposition de loi qui reprend celui prévu par l’Assemblée nationale. Ce dispositif prévoit, conformément aux observations de la Cour des Comptes dans son rapport de 2018[3], que le président et les membres du conseil d’administration des fédérations sont élus par une assemblée générale composée de « chaque membre de celle-ci ». Cela entend donner plus de voix aux clubs quand jusqu’alors les membres des instances dirigeantes étaient élus par des grands électeurs.
Au sein de ce titre, le Sénat a également adopté de nombreux éléments consacrant des dispositifs recommandés par le CNOSF, notamment le meilleur accompagnement des victimes de violences sexuelles et des sportifs dans leur reconversion. A aussi été adoptée la création de chartes : l’une veillant au respect de l’éthique et de la déontologie dans le sport, l’autre portant sur le bénévolat sportif qui permettrait d’accompagner les bénévoles, de les encourager ou en faire la promotion, d’après le rapporteur de la proposition de loi au Sénat.
Modèle économique sportif
Le Sénat a repris les grandes dispositions du texte adopté par l’Assemblée Nationale, notamment l’inscription dans le code du sport de la plateforme nationale contre la manipulation des compétitions sportives ou encore le projet de création d’une société commerciale par une ligue professionnelle pour « la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation audiovisuelle ». Néanmoins, les sénateurs ont cherché à encadrer celle-ci en prévoyant « un avis conforme de la fédération sur les statuts et sa présence dans l’instance de direction avec voix consultative ».
Les sénateurs ont adopté une disposition prévoyant une nouvelle rédaction de l’art. 20-2 de la loi du 30 septembre 1986 sur la diffusion des évènements sportifs d’importance majeure, dont la liste est fixée par un décret de 2004. L’objectif est d’élargir cette liste aux grandes compétitions féminines et paralympiques tout en évitant que des plateformes payantes ne les diffusent en intégralité. En effet, les évènements sportifs d’importance majeure « ne peuvent être retransmis en exclusivité d’une manière qui aboutit à priver une partie importance du public de la possibilité de les suivre en direct ou en différé sur un service de télévision à accès libre ». Cet amendement est bienvenu pour permettre justement cette « démocratisation » du sport, car la mise en valeur de ces sports devrait permettre un élargissement du public mais aussi des pratiquants de ces disciplines. Pour juger de la réalisation de ces objectifs, serait produit par le Gouvernement un rapport dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi, qui dresserait un bilan de l’évolution des diffusions de manifestations sportives, l’objectif étant de montrer l’évolution de leur diversité et de leur diffusion sur des canaux accessibles à tous.
Toutefois, cet article a été supprimé lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, puisque selon les députés de la majorité une enquête a déjà été diligentée par la ministre de la Culture et doit justement déboucher sur un élargissement de la liste des évènements sportifs d’importance majeure.
Les sénateurs ont aussi voté l’allongement de la durée maximale du 1er contrat professionnel de 3 à 5 ans lorsqu’un accord collectif de discipline le prévoit. Cela permettra de valoriser les clubs de formations et les joueurs qui en sont issus. Cela permettra aussi de voir plus longtemps sur les terrains français de jeunes joueurs avant que ceux-ci ne soient achetés par un club étranger proposant un meilleur contrat.
L’introduction de la question de la lutte contre la violence dans les stades
La supposée régulation de l’utilisation des fumigènes
De nouvelles dispositions ont été introduites au Sénat en ce qui concerne la lutte contre la violence dans les stades. L’article 11 bis A prévoit une amende forfaitaire de 800€ pour l‘introduction de fumigènes dans les stades. Notons que le montant de cette amende est le même si le supporter introduit dans le stade un fumigène ou un couteau, comme tout objet susceptible de constituer une arme au sens de l’art. 132-75 du code pénal…
Signe d’une grande hypocrisie, la sanction contre les fumigènes et engins pyrotechniques, sous couvert de lutte contre la violence dans les stades, a été renforcée et alignée sur celle des armes alors même que dans toutes les vidéos promotionnelles de la LFP ou de la FFF on peut voir des stades bouillants où sont craqués des fumigènes.
En faisant preuve de bon sens, les députés, lors de la 2e lecture ont enrichi le texte d’un nouvel alinéa prévoyant que l’organisateur d’une manifestation sportive peut « à titre expérimental, avec l’accord du représentant de l’Etat dans le département, et à Paris, du préfet de police, autoriser certains de ses supporters à utiliser des engins pyrotechniques ». Toutefois, au lieu de moduler l’amende forfaitaire suivant le type d’objet introduit, fumigènes ou objets susceptibles de constituer une arme, les députés ont voté l’abaissement de celle-ci à 500€…
La tentative avortée d’encadrement des interdictions de stade et de déplacement
Bien des sénateurs ont essayé de légiférer pour aller dans le sens d’un meilleur dialogue entre supporters, clubs et préfets mais se sont heurtés à l’opposition systématique de la ministre des Sports Roxana Maracineanu ainsi que du rapporteur de la loi au Sénat, Michel Savin. Des propositions successives d’amendements ont ainsi tenté d’encadrer l’arbitraire des décisions des préfets notamment lors des interdictions de déplacements de supporters ou en cas d’interdiction de stade.
Dans le premier cas, avait été proposé que les interdictions de déplacement soient publiées 3 semaines avant la rencontre sauf circonstances exceptionnelles. Cela aurait permis d’éviter des situations ubuesques comme la publication d’un arrêté la veille, ou encore mieux, le lendemain du match en question comme lors de la rencontre Rennes-Brest en Ligue 1 du 6 février 2022. Qui plus est, il est nécessaire de s’intéresser à ces problématiques tant le nombre d’interdictions de déplacements est en constante augmentation. Elles ont été trois fois plus fréquentes pour la saison 2018-2019 que pour la saison 2014-2015[4] et pour la plupart des cas en se basant sur des justifications abusives. Avait aussi été proposée la création d’une plateforme qui répertorie les interdictions de déplacement afin de mieux permettre aux supporters de prendre connaissance des décisions des préfets en temps et en heure, et éviter ainsi de fortes sanctions. Pour autant, d’après le rapporteur et la ministre, les arrêtés font déjà « l’objet d’une large communication médiatique » et « cette plateforme aurait un coût prohibitif »…
En ce qui concerne les interdictions administratives de stades (IAS) qui ne sont pas une sanction mais bien une mesure préventive de police administrative, les tentatives successives d’un meilleur encadrement ont été rejetées. Lorsqu’une personne est interdite administrativement de stade, celle-ci se voit le plus souvent obligée de pointer au commissariat, parfois lors des matchs d’une seule équipe, d’autres fois pour un nombre d’équipes bien plus important. La mesure est prise unilatéralement par le préfet, sans audition et peut durer jusqu’à 2 ans, sauf si récidive, auquel cas elle peut durer jusqu’à 3 ans. Lorsque les IAS avaient été créées en 2006, le but était d’écarter rapidement les supporters les plus violents et pour une durée limitée à 3 mois. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et cette dérive a été pointée du doigt dans le rapport d’information sur les interdictions de stade et le supportérisme de Marie-George Buffet et Sacha Houillé. En effet, les IAS sont devenues « le premier outil de police au sein des stades et une forme de substitut aux sanctions pénales que constituent les interdictions judiciaires de stade (IJS) mais sans procédure contradictoire ni respect des droits de la défense ».
Ce rapport avait aussi mis en avant l’opacité des décisions quant à leur nombre, leur durée, leur répartition territoriale et leurs motifs. Cette critique a ainsi été prise en compte dans la discussion au Sénat en prévoyant que les IJS, IAS, interdictions de déplacement de supporters prononcés par le ministère de l’Intérieur et le représentant de l’Etat dans le département fassent désormais l’objet d’un rapport public annuel par les services du ministère de l’Intérieur.
Néanmoins, furent rejetées des propositions d’amendement visant à ce que l’obligation de pointer ne soit décidée qu’en présence d’éléments pouvant démontrer que le supporter voudra violer son IAS, ou que cette obligation soit proportionnée au regard du comportement de la personne, ou encore une proposition de présomption d’urgence en cas de recours contre une IAS afin que le juge administratif puisse statuer rapidement sur ces mesures. A aussi été rejetée la proposition visant à ce que, dans le cadre du recours en annulation contre une IAS, le juge administratif se prononce dans les 4 mois suivant la saisine, contre un délai qui fluctue entre 1 et 3 ans aujourd’hui. En effet, selon les analyses de Grégoire Fleurot, à partir d’une base de données de plusieurs centaines de décisions, le taux d’annulation par le juge administratif des arrêtés d’IAS est de l’ordre de 75%[5]. Cela est dû à un manque de preuve, à des motivations insuffisantes ou des actes insuffisamment graves. Il semblait dès lors nécessaire que le juge administratif puisse se prononcer vite afin d’annuler des arrêtés infondés tant la mesure est privative de liberté. De plus, même s’il existe des référés-liberté ou référés-suspension, d’après le rapport Buffet-Houillé « dans les faits, le juge administratif ne donne que rarement une suite favorable aux demandes de référés formulées à l’encontre d’IAS, jugeant que les conditions, notamment celle d’urgence, ne sont pas remplies, ce qui ne permet pas d’obtenir un jugement rapide. »
Aussi, il fut question dans les débats successifs au Sénat et à l’Assemblée, des interdictions commerciales de stades (ICS). L’article L332-1 du code du sport prévoit que « les organisateurs de manifestations sportives peuvent refuser ou annuler la délivrance de titres d’accès à ces manifestations ou en refuser l’accès aux personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations. »
Pour autant, ces interdictions sont décidées par le club sans que celui-ci ait besoin de motiver sa décision et sans procédure contradictoire. Sénateurs et députés avaient déposé des amendements afin que cette mesure, privative de libertés, soit encadrée par un cadre légal sans pour autant réussir à faire avancer la question…
Un calendrier serré
Le texte a donc été adopté en 2nde lecture par l’Assemblée nationale qui l’a transmis au Sénat. Cependant, les députés ayant supprimé et modifié une grande majorité des articles introduits par les sénateurs, le groupe Les Républicains a déposé une motion préalable, ce qui équivaut au rejet du texte sans examen des articles. Celle-ci a été adopté ce mercredi par 208 voix contre 129. Ainsi, le texte retourne devant l’Assemblée pour une dernière lecture avant d’être adopté définitivement. La session parlementaire s’arrêtant le 26 février pour la campagne présidentielle, il faudra faire vite…
[1] Le Sénat regrette le refus de l’Assemblée nationale d’étendre la loi sur les signes religieux à l’école de 2004 aux compétitions sportives organisées par les clubs et souhaite rappeler ses apports au texte
[2] Qu’est-ce que la laïcité ?
[3] Rapport annuel de la Cour des Comptes de 2018, Tome II, l’Etat et les mouvements sportifs.
[4] Rapport d’information par la mission d’information commune sur les interdictions de stade et le supportérisme, Marie-George Buffet et Sacha Houillé.