Peut-on souhaiter la défaite de son équipe ?
Le 25 mai 2019, à Séville, se jouait la finale de Coupe du Roi opposant le FC Barcelone à Valence. Cette sixième finale consécutive pour le club catalan allait avoir lieu dans une ambiance particulière puisqu’une partie de ses propres supporters espérait une défaite de l’équipe, celle-ci étant supposée conduire au limogeage du critiqué coach Ernesto Valverde. Ce phénomène, qui apparaît comme contre-nature, n’est pourtant pas rare et touche plusieurs clubs chaque saison. Ce souhait du supporter est-il moralement condamnable ?
Entre trahison et sacrifice
La première réaction devant un supporter souhaitant la défaite de son club de cœur est d’y percevoir une forme de trahison. En effet, la définition même du supporter est celle de la personne qui encourage une équipe. Il est alors totalement paradoxal et contre-nature que ce même supporter espère l’échec de son club, et, indirectement, la victoire de son adversaire.
Pourtant, le supporter n’est-il pas le premier à être profondément affecté par la défaite de son équipe ? Aussi attendue soit-elle, la défaite provoque ce pincement au cœur inévitable lorsque le coup de sifflet final est donné par l’arbitre. Qu’elle entraîne l’élimination d’une compétition ou la perte de points au classement, elle propage ce sentiment amer qui met parfois bien longtemps à disparaître. En s’infligeant un tel supplice, le supporter n’accepte-t-il pas in fine de se sacrifier dans l’espoir d’un plus grand bien ?
Un mal pour un plus grand bien
Le souhait de voir son équipe perdre n’est pas un acte gratuit, dénué de sens et simple conséquence du dégoût du supporter. Il est davantage un acte désespéré, un dernier espoir placé dans une défaite potentiellement salvatrice, un baroud d’honneur.
Cette défaite, synonyme d’échec et antonyme de succès, est par définition un mal. Elle l’est du moins à court terme lorsqu’il s’agit d’une journée de championnat et devient définitive lorsqu’elle entraîne l’élimination d’une compétition. Mais ce mal ne peut-il pas être compensé ?
Première hypothèse, si la victoire est une « imposture » comme le considère Marcelo Bielsa, alors la défaite peut être la « sincérité » providentielle. En effet, celle-ci est un signal d’alarme. Elle met en lumière les défauts souvent masqués par les victoires et invite chaleureusement l’entraîneur et les joueurs à les corriger. Pour poursuivre sur l’exemple du Barça, les réussites en Liga au cours de deux dernières saisons, bien trop souvent permises par la présence d’un seul homme qu’il est devenu inutile de citer, ont fait de l’ombre aux importantes carences de l’équipe. Avec des résultats plus compliqués en championnat et reflétant honnêtement les prestations délicates, l’issue aurait peut-être été différente en ligue des champions.
L’autre hypothèse est plus radicale. Il arrive un stade où l’entraîneur, soit par ses résultats, soit par son style de jeu, n’est plus considéré comme apte à rester au club. Et il peut en être de même pour un autre dirigeant. Dans ce cas, l’ultime défaite présente l’espoir du limogeage de la personne désignée comme responsable de la mauvaise situation. On retrouve ici le scénario de la finale de Coupe du roi précitée, mais dont la conclusion n’a pas été entièrement celle espérée.
Un bien incertain
Le problème est bien celui de l’incertitude de la conséquence heureuse que la défaite est censée apporter. Ainsi, malgré la débâcle du FC Barcelone face à Valence, Ernesto Valverde a été maintenu à son poste. Or, si l’aspect positif de la défaite ne se produit pas, cette dernière conserve essentiellement un aspect négatif qui n’aura pas été compensé.
Ce souhait d’une défaite salvatrice est donc un sacrifice risqué au bout duquel l’échec peut être total. Néanmoins, motivé par le désir de voir son club réussir sur le long terme et animé par le désespoir devant l’absence de toute solution rationnelle, le supporter se montre prêt à prendre le risque, même si les chances sont infimes, à travers cet acte de dernière chance. Or, comme le disait Robert Kennedy, « seuls ceux qui prennent le risque d’échouer spectaculairement réussiront brillamment ». Dès lors, comment en vouloir à ce supporter ?