L’émission de tokens par les clubs
Considérée comme historique, l’arrivée de Lionel Messi au PSG illustre également un nouveau rapprochement entre le monde du football et celui de la blockchain. En effet, outre une compensation pécuniaire généreuse, le package de l’argentin prévoit un versement de fans tokens du club parisien. Ces jetons numériques offrent des perspectives intéressantes pour les clubs sportifs, notamment pour renforcer les liens avec les supporters. Voici un panorama du cadre juridique de l’émission de tokens au regard de la réglementation boursière.
Avant toute chose, quelques précisions sur le fonctionnement des fans tokens. Ces actifs numériques offrent à leurs détenteurs divers droits et avantages permettant de participer à la vie d’un club : vote sur certaines décisions du club (ex. choix de l’inscription sur le brassard du capitaine), promotions sur les produits de la boutique officielle, accès à des événements privilégiés etc. Ces tokens peuvent également prendre (ou perdre) de la valeur et être revendus sur le marché secondaire selon le prix fixé en fonction de l’offre et de la demande.
Deux techniques principales permettent aux clubs de lancer des fans tokens : (i) l’émission directe et (ii) l’émission indirecte via un partenaire comme Socios.
L’émission directe d’utility tokens
Les fans tokens correspondent plus largement à ce qu’on appelle des utility tokens. Il s’agit de jetons numériques qui donnent accès à des services ou produits à leurs détenteurs. On les oppose notamment aux security tokens, qui sont tout simplement des tokens représentant des instruments financiers[1].
Au sens de la réglementation boursière, ces utility tokens sont des « jetons ». En effet, l’article L552-2 du Code monétaire et financier définit le jeton comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien».
Quel est le régime de l’émission de jetons ? Pour répondre à cette question, il faut déterminer si l’émission correspond ou non à une offre au public de jetons.
Inspiré par les dispositions relatives à l’émission de titres financiers, l’article L552-2 al. 1 du Code monétaire et financier dispose qu’« une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons ». À l’inverse, il est précisé par le second alinéa de cet article, complété par l’article 711-2 du Règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), que l’offre de jetons ouverte à la souscription par moins de 150 personnes agissant pour compte propre ne constitue pas une offre au public de jetons au sens de la réglementation boursière.
L’objectif de l’émission de tokens par un club de football étant d’en faire bénéficier un grand nombre de supporters, il s’agira nécessairement d’une offre au public de jetons. Dès lors, l’article L552-4 du Code monétaire et financier offre la possibilité aux émetteurs, ici les clubs, de solliciter un visa de l’AMF.
Quel serait l’intérêt d’un tel visa ? Contrairement au régime de l’offre au public de titres financiers, ce visa est facultatif et, par conséquent, son absence n’entraîne à elle seule aucune sanction pour l’émetteur. Néanmoins, sans visa, l’émetteur ne peut procéder à des actes de démarchage[2]. Cela inclut toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou morale en vue d’obtenir son accord dans le cadre de l’émission des jetons[3]. Cela n’empêche toutefois pas de diffuser de simples informations publicitaires[4]. Au-delà de l’aspect purement réglementaire, l’obtention du visa permet de figurer dans la liste blanche publiée par l’AMF, ce qui constitue sans aucun doute un élément pouvant renforcer la confiance des souscripteurs et autres partenaires, et favoriser la réussite de l’émission.
Quelles conditions pour obtenir son visa ? Une instruction de l’AMF détaille l’ensemble de la procédure ainsi que les différents documents à fournir et conditions à respecter pour l’obtention du visa[5]. Sans entrer dans les détails, l’émetteur devra notamment (i) être constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France, (ii) produire un document d’information selon un plan-type fourni en annexe 2 de l’instruction, (iii) mettre en place un procédé permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre et (iv) mettre en place un dispositif permettant de respecter les obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
A la suite de la réception du dossier complet, l’AMF a deux jours ouvrés pour accuser réception puis un délai de 20 jours ouvrés pour donner sa décision. Comme toute décision individuelle de l’AMF, le refus d’apposer le visa est susceptible de recours devant le juge judiciaire[6].
L’émission indirecte de fans tokens via un partenaire
L’autre méthode qui s’offre aux clubs pour émettre des fans tokens est de passer par un partenaire. Pour reprendre l’exemple du PSG, l’émission des fans tokens du club a eu lieu via la plateforme socios.com. Ces émission indirectes obéissent alors à un mode de fonctionnement différent.
Dans le cas de Socios, le véritable émetteur des tokens est la société suisse Socios Technologies AG et non le club. Un contrat (partnership agreement), conclu entre Socios et le club, contient l’ensemble des termes de leur accord : modalités des fans tokens, droits de propriété intellectuelle, modalités des prises de décisions, responsabilités…
Par la suite, Socios fait adhérer les souscripteurs aux conditions générales d’utilisation de la plateforme[7]. Ce document contient les modalités de la souscription des fans tokens ainsi que les droits et obligations des utilisateurs et de la société. Pour souscrire à l’émission de fans tokens, l’utilisateur doit payer en Chiliz (CHZ), un autre token émis cette fois-ci par Entertainment Trading Technologies Limited, une filiale de Socios immatriculée aux Seychelles.
Afin d’éviter l’application de la réglementation boursière, Socios rappelle à plusieurs reprises que les fans tokens ne sont ni des instruments financiers ni des security tokens. En réalité, les différents régulateurs ne s’en tiennent pas à ces avertissements mais vont regarder en pratique les droits rattachés à ces fans tokens. On va vérifier que ces derniers ne présentent pas des caractéristiques similaires à des instruments financiers (par exemple, si les tokens offrent l’équivalent de dividendes ou des droits politiques similaires à ceux offerts par les actions). Dans un tel cas, l’autorité boursière est libre de qualifier les tokens d’instruments financiers et d’appliquer la réglementation boursière à leur émission.
À notre connaissance,
l’ensemble des émissions de tokens réalisées jusqu’ici par les clubs entre dans
cette seconde catégorie. Mais on peut peut-être rêver de voir un jour une
émission directe de tokens par un club français ayant obtenu le visa de l’AMF,
qui sait…
[1] Cet article ne traitera pas de l’émission de security tokens par les clubs pour une raison simple : ceux-ci sont considérés par l’AMF et par la réglementation boursière comme des instruments financiers. Dès lors, le même régime que celui de l’émission de titres financiers est applicable (obligation, sauf exceptions, de publier un prospectus et d’obtenir le visa de l’AMF).
[2] Art. L341-3, 7° du Code monétaire et financier
[3] Art. L341-1, 8° du Code monétaire et financier
[4] Art. L341-2, 11° du Code monétaire et financier
[5] Instruction AMF (DOC-2019-06), Procédure d’instruction et établissement d’un document d’information devant être déposé auprès de l’AMF en vue de l’obtention d’un visa sur une offre au public de jetons
[6] Art. L621-30 du Code monétaire et financier
[7] https://www.socios.com/socios-com-application-terms-of-use/