Accord La Liga – CVC : bientôt en France…
La ligue espagnole de football a annoncé le 4 août avoir conclu un accord avec le fonds de private equity CVC Capital Partners pour accueillir ce dernier au sein de son capital à hauteur de 10%. Alors que cette opération s’inscrit dans la continuité de ce qui a été réalisé dans d’autres championnats ou d’autres sports, on peut légitimement se demander si le phénomène est susceptible de débarquer bientôt en France.
Avant d’envisager l’opération en France, essayons de comprendre précisément ce que la Liga tente de mettre en place en Espagne.
Résumé de l’opération La Liga – CVC
Pour accueillir le fonds d’investissement à la tête de la ligue espagnole, une nouvelle société commerciale « La Liga Impulso » va être créée et sera destinée à exercer l’ensemble des activités commerciales de la ligue (gestion des droits TV, contrats de sponsoring etc.). Les actionnaires de cette nouvelle société seront alors l’association de La Liga, à hauteur d’environ 90% du capital, et CVC à hauteur d’environ 10%[1].
Afin de bénéficier de ces 10% de capital de la nouvelle société, CVC va apporter 2,7 milliards d’euros, correspondant à une valorisation globale de la société à plus de 24 milliards d’euros. Pour financer cette opération, le fonds va recourir à un emprunt de manière similaire à ses opérations de LBO classiques[2].
Il est prévu que la très grande majorité des fonds levés aille aux clubs sous forme de prêts remboursables sur 40 ans et destinés à des investissements et refinancements de dettes[3].
Une opération bientôt réalisable en France
En France, un changement du cadre juridique est en train d’être opéré afin de permettre la réalisation d’une telle opération.
En effet, l’Assemblée Nationale a adopté le 19 mars 2021 une proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Après l’adoption de l’amendement n° 445, celle-ci prévoit la création d’un nouvel article L. 333-2-1 au sein du Code du sport disposant que « Les ligues professionnelles, créées en application de l’article L. 132‑1, peuvent, pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation audiovisuelle mentionnés au second alinéa de l’article L. 333‑1, créer une société commerciale soumise au code de commerce ».
Du côté de la LFP, le changement de ses statuts, autorisant celle-ci à détenir des actions dans une société commerciale dans le cadre de ses activités, a déjà eu lieu et a été validé par la Fédération française de football[4]. Les clubs ont donc déjà eu l’occasion de manifester leur consentement au moins sur le principe de l’opération[5].
Ainsi, sous réserve d’un intérêt des fonds d’investissement pour le championnat français, auquel l’arrivée de Lionel Messi va sans doute contribuer, on se rapproche d’un nouveau mariage entre football et private equity.
Conditions de l’opération
La proposition de loi prévoit trois principales garanties pour éviter de possibles excès liés à l’entrée de tiers au capital de la société.
Tout d’abord, en aucun cas la ligue ne pourra détenir moins de 80% du capital et des droits de vote de la société. Cela permet de s’assurer que la ligue garde le contrôle sur la société et qu’un tiers ne puisse en aucun cas être majoritaire, bien que ce dernier puisse tout de même bénéficier de certains droits de veto ou droits politiques équivalents.
Sur ce dernier point, il est prévu que « les statuts, qui définissent notamment les décisions qui ne peuvent être prises sans l’accord des associés ou actionnaires minoritaires, sont approuvés par arrêté du ministre chargé des sports après avis de la fédération concernée ». Le ministère et la fédération auront donc leur mot à dire sur la répartition des droits politiques entre la ligue et l’actionnaire minoritaire, veillant sans doute à ce que ce dernier ne s’accapare pas de droits trop importants.
Par ailleurs, afin d’éviter les conflits d’intérêts, un décret devra préciser, après l’adoption définitive de la proposition de loi et son entrée en vigueur, les personnes physiques ou morales qui ne pourront pas détenir de participation dans cette société[6].
L’intérêt d’une telle opération
Le premier intérêt d’une telle opération, notamment en temps de crise, est bien sûr de pouvoir lever des fonds qui seront destinés à divers investissements ou à aider des clubs en difficultés.
Mais au-delà cet aspect, l’implication d’un fonds d’investissement dans les activités commerciales de la ligue offre des perspectives d’une meilleure gestion de ces activités et des intérêts financiers de la ligue. En effet, même en tant que minoritaire, le fonds peut apporter son expertise concernant la valorisation des actifs sportifs et de manière générale la rentabilité financière de ces activités.
Ce sont toutefois ces considérations financières qui suscitent des craintes – légitimes mais à nuancer – auprès de certains supporters.
Craintes du foot-business et nuances
L’arrivée d’un fonds d’investissement à la tête de la ligue de football professionnel représente en quelque sorte l’apogée du foot-business. En effet, la crainte est celle de voir les considérations économiques prendre davantage le dessus sur les considérations sportives.
Multiplication de rencontres nationales jouées à l’étranger, adaptation des horaires des matchs pour favoriser la diffusion dans des pays comme la Chine… ce sont des exemples de décisions qui sont justifiées économiquement mais qui s’éloignent de l’esprit du sport, et l’entrée au capital d’un partenaire financier risquerait de les pérenniser.
Néanmoins, il faut remarquer que ce chemin du foot-business a déjà été pris depuis un moment et l’entrée d’acteurs financiers ne changera donc finalement pas grand chose de ce point de vue. Elle permettra peut-être au moins de quitter l’entre-deux qui consiste à faire du foot-business mais avec une mauvaise gestion, mettant en péril la santé financière de l’ensemble des acteurs de ce sport. À titre d’exemple, on aurait peut-être pu éviter le fiasco Mediapro avec un véritable professionnel aux côtés de la LFP.
Le football français n’a donc en réalité que deux solutions, plus ou moins crédibles : réaliser un virage à 180° et revenir à un foot prenant moins en compte les considérations économiques, ou les prendre correctement en compte et avec une gestion efficace. On est, sans doute malheureusement pour les plus rêveurs d’entre nous, plus proche de la seconde option que de la première…
[1] https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/la-ligue-espagnole-de-football-leve-pres-de-3-milliards-avec-cvc-1336845
[2] https://www.reuters.com/article/spain-soccer-privateequity-goldman-sachs/update-1-goldman-to-lend-1-bln-euros-to-cvc-for-laliga-deal-sources-say-idUSL1N2PI161
[3] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/08/05/football-la-liga-espagnole-vend-10-de-son-capital-a-un-fonds-d-investissement-pour-se-relancer-apres-la-pandemie_6090610_3234.html
[4] https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Les-ligues-professionnelles-autorisees-a-creer-une-societe-commerciale/1234118
[5] https://www.sportstrategies.com/la-lfp-ouvre-la-voie-a-la-creation-dune-filiale-commerciale/
[6] On imagine qu’il s’agira principalement des clubs et des dirigeants des fédérations et autres instances.