De l’Esprit des lois du football
Pas une journée de football ne passe sans qu’une polémique ne surgisse autour d’une décision arbitrale liée à une main dans la surface ou à un hors-jeu de quelques millimètres. Au cours de ces débats intenses, chaque participant pense détenir la solution du litige en citant la règle – souvent inventée – qui aurait dû être appliquée par l’arbitre. Le spectacle est amusant, parfois frustrant, surtout lorsque les commentateurs eux-mêmes s’aventurent en direct dans des explications sur la seule et unique loi applicable. Or, en réalité, la lettre de la règle a une importance relative, celle-ci devant être nécessairement appliquée conformément à l’esprit des lois du football.
La nécessaire interprétation des règles
Puisqu’on se permet d’emprunter le titre du célèbre ouvrage de Montesquieu1, on va faire ici un court passage par la théorie générale du droit.
Le caractère général et abstrait de la règle de droit, en ce qu’elle entend prendre en compte des situations générales et non des cas particuliers, impose à celui qui doit l’appliquer – en principe le juge – de l’interpréter. Les lois du football, telles que rédigées par l’International Football Association Board (IFAB), n’échappent pas à ce principe. En effet, bien que déjà assez précises, elles ne peuvent encadrer toutes les situations possibles et imaginables, et laissent souvent une marge d’appréciation à celui en charge de les appliquer, l’arbitre.
Prenons un exemple pour mieux comprendre. La règle relative à la faute de main (loi 12) dispose qu’il y a faute dans trois situations, qui peuvent offrir soit une liberté d’appréciation à l’arbitre, soit une part d’interprétation de la règle elle-même :
• Le joueur touche délibérément le ballon de la main : l’appréciation de l’intention du joueur dépend donc de l’arbitre.
• Le joueur récupère la possession du ballon après avoir touché le ballon de la main et se crée une occasion de but ou en marque un : ici, l’arbitre définit ce qu’est ou non une occasion de but.
• Le joueur marque directement de la main : même là, le caractère « direct » peut subir différentes interprétations.
De manière encore plus flagrante, cette disposition poursuit en décrivant d’autres situations qui constituent « en général » une faute ou ne constituent « en général » pas une faute. Dans ces différents cas, l’arbitre dispose donc d’une liberté d’interprétation quasi-totale puisqu’il n’est pas contraint par une solution systématique. Cette liberté laissée à l’arbitre n’est toutefois pas une faille des lois du jeu mais simplement le reflet de la complexité, et la beauté, de ce sport qui est loin d’être mécanique. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir comment interpréter les règles du football.
L’esprit des lois du football
L’interprétation des règles de droit peut se faire de différentes manières. Pour simplifier, on peut identifier deux grandes catégories. La première est celle des méthodes d’interprétation intrinsèque, qui se réfèrent essentiellement au texte de la loi ainsi qu’à l’intention des auteurs. La seconde est celle des méthodes d’interprétation extrinsèque2, qui utilisent des éléments extérieurs, afin de prendre notamment en compte l’évolution de la société. Or, concernant les lois du jeu, celles-ci sont actualisées très régulièrement – la dernière version datant de 2019 – et il est dès lors moins compliqué de tenir compte de l’intention des auteurs et de manière générale de l’esprit de ces règles.
Mais quel est cet « esprit » ? Ce sont les raisons pour lesquelles les règles de ce sport ont été instaurées, leur raison d’être. On ne va évidemment pas s’aventurer dans une analyse une par une de la « ratio legis »3 de chaque loi mais on se concentrera sur les deux plus sollicitées, celles qui alimentent les débats chaque semaine.
La faute de main. – A la lecture du texte des lois du jeu relative à la faute de main, on s’aperçoit que celle-ci entend sanctionner l’avantage perçu par un joueur à travers l’utilisation, volontaire ou involontaire, de sa main. Cet avantage peut être soit la création d’une occasion pour un joueur en position d’attaque, soit au contraire l’annihilation d’une occasion pour un joueur en position de défense. Ainsi, pour qu’une faute de main à l’intérieur de la surface entraîne un penalty, et sauf le cas où la main était complètement collée au corps, l’arbitre devrait se poser comme unique question « cette main a-t-elle empêché une action de but ? » Pourtant, les dernières décisions semblent loin de respecter cet esprit…4
La règle du hors-jeu. – Si elle a été peaufinée depuis sa création en 1863, cette règle a toujours eu le même objectif : sanctionner une position trop avantageuse pour un attaquant et considérée à ce titre comme illicite. Cette position est caractérisée aujourd’hui dès qu’un joueur se trouve « dans la moitié de terrain adverse et plus près de la ligne de but adverse que le ballon et l’avant-dernier adversaire. » Néanmoins, lorsque cette position semble peu évidente (ex. seule une tête dépasse, ou seulement quelques centimètres), l’arbitre devrait apprécier la situation en prenant en compte le seul esprit de la règle, et non une application stricte du texte. Autrement dit, l’arbitre devrait se poser la seule question : « cette position a-t-elle avantagé le joueur au détriment de l’adversaire ? ». Dès lors, on a dû mal à comprendre le raisonnement des arbitres lorsqu’un hors-jeu de quelques centimètres est sanctionné.
Une présomption de légalité
Pour que la conformité à l’esprit des règles du football soit totale, un autre principe doit être respecté : celui de la présomption de légalité. Autrement dit, il s’agit de considérer qu’une action – comme un ballon reçu par un attaquant dans une position intéressante, un tacle d’un défenseur, ou un contact du ballon avec le corps d’un joueur – est licite tant que son contraire n’a pas été démontré. Plus simplement, cela revient à dire que le doute doit profiter au joueur accusé d’avoir commis un acte en violation des règles du jeu. Dès lors, lorsqu’un hors-jeu est contestable, la balance doit pencher vers l’absence de hors-jeu. De même lorsqu’il n’est pas sûr qu’une main ait annihilé une action de but, celle-ci ne doit pas être sanctionnée. Une solution similaire doit également s’appliquer en cas de tacle litigieux. Ce principe peut certes aboutir à ce qu’un acte non autorisé ne soit pas sanctionné, tel qu’un penalty non accordé à tort, mais cette situation reste davantage tolérable que l’inverse, c’est-à-dire un acte autorisé sanctionné à tort, tel qu’un penalty accordé pour une faute inexistante ou encore un hors-jeu sifflé de manière incorrecte.
En conclusion, l’esprit des lois du football doit être la boussole guidant l’ensemble des décisions arbitrales. Et si la mise en place de l’assistance vidéo à l’arbitrage ainsi que les récentes décisions semblent nous conduire vers un football davantage mécanique, qui se contenterait d’appliquer de manière systématique et rigoureuse les règles du jeu, les amateurs de ce sport ont tout intérêt à ce que cette tendance se renverse.
1. Montesquieu, De l’Esprit des lois (1758)
2. Voir les oeuvres de Saleilles et Gény
3. La ratio legis signifie la raison d’être de la loi
4. Par exemple, la main de Kamara de l’OM face à Monaco lors de la 5ème journée du championnat
Crédit photo : sport24info.ma
1 commentaire
excellente interprétation de la règle sportive rapportée au sens universel du droit. Je dois dire que j’use de la même interprétation dans un travail universitaire portant sur la santé et le sport. Le fair play anglais est issu , qu’on le veuille ou non de « L’esprit des lois de Montesquieu » que Coubertin a oublié dans son envie de transporter le sport vers l’antiquité grecque et sa résurgence dans la stature universitaire anglaise. Par la suite il persistera pour installer l’olympisme en Suisse. Pourtant ses thuriféraires sont scandalisés par l’oubli de sa sanctification dans l’univers des reconnaissances publiques françaises.