Loi pour démocratiser le sport, de réelles avancées ?
L’Assemblée nationale a adopté le 19 mars 2021 la loi visant à démocratiser le sport en France. Cette loi est la traduction de l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017, qui avait ainsi exprimé son souhait que la France devienne une nation de sport, et ce à l’horizon des jeux olympiques de 2024 à Paris. Pour autant, la proposition de loi permettra-t-elle d’atteindre cet objectif ?
Cette loi a été à l’origine portée par la première ministre des Sports du quinquennat, Laura Flessel, et portait le nom de loi « Sport et société ». Pourtant, elle a finalement été adoptée par l’Assemblée nationale sous le nom de « Loi visant à démocratiser le sport », l’idée de société ayant entre-temps disparu. La ministre des Sports Roxana Maracineanu se veut cependant pragmatique et se félicite qu’une loi relative au sport ait pu être discutée malgré un agenda parlementaire surchargé par les questions liées à la pandémie de Covid-19.
D’ailleurs, l’adoption de ce texte s’est faite dans des formes assez remarquées. Il faut noter que cette loi n’a pas été portée par le gouvernement mais par 3 députés de la majorité, témoignage d’un texte dont les avancées seront sûrement moindres que s’il avait été l’objet d’une grande réforme promue par l’exécutif lui-même. Cette proposition de loi a aussi été examinée de façon hachée, sur trois jours distincts. Cet étalement a fait l’objet d’un grand nombre de critiques de l’opposition, mettant en cause la réelle importance de cette loi aux yeux du gouvernement. Enfin, cette proposition de loi fait l’objet d’une procédure accélérée permettant d’abréger la discussion parlementaire : la loi sera ainsi adoptée à l’issue d’une seule lecture par les chambres du Parlement.
La proposition porte sur 3 aspects différents sur lesquels nous reviendrons successivement : le développement de la pratique sportive pour le plus grand nombre (I), le renouvellement du cadre de la gouvernance des instances sportives ainsi que de leur représentation (II), et le modèle économique sportif (III).
Le développement de la pratique sportive pour le plus grand nombre
Depuis le remaniement de juillet 2020, ministère des Sports et ministère de l’Éducation sont réunis, en vue d’appuyer l’importance du sport dans l’éducation. Cette union repose donc sur la volonté de créer des alliances éducatives autour du sport et de l’école, puisque d’après le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, « l’idéal républicain de liberté, égalité et fraternité peut se réaliser avec les valeurs du sport. »
Le premier titre de loi vise dès lors à construire une société plus inclusive par le sport en permettant d’élargir sa pratique à tous : aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées, ainsi qu’aux personnes malades. L’article 1er de la loi consacre la portée préventive de l’exercice sportif afin de réduire les maladies : les médecins doivent encourager la pratique d’une activité physique à leurs patients et la prescription du sport santé est élargie aux patients présentant des facteurs de risque ou atteints d’une maladie chronique. Cette ouverture inclut aussi les patients souffrant de maladies mentales.
La volonté d’une loi plus inclusive par le sport passe ici par l’assurance du droit de tous à un égal accès au sport sans aucune discrimination « fondée sur le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut. »[1]
L’idée de cette proposition de loi est aussi de renforcer l’ancrage territorial de la pratique sportive : ouvrir davantage le système scolaire afin de mieux partager les équipements sportifs des établissements de premier et second cycle. Il faut que les équipements des établissements scolaires soient mis à la disposition de tous, particuliers comme clubs, pour en garantir un égal accès. Cette ouverture devrait servir prioritairement la pratique sportive féminine. La mise en place de plan sportifs locaux rentre aussi dans cette optique : associer toutes les parties afin de permettre l’égal accès au sport pour toutes et tous ; l’objectif étant de promouvoir l’intégration sociale et économique au travers du sport. Le premier titre envisage aussi la promotion du sport pour les personnes en situation de handicap : faire savoir au plus grand nombre que pratiquer une activité sportive en situation de handicap est possible, et quelles en sont les modalités.
Néanmoins, il paraît regrettable que la loi n’envisage pas une réelle démocratisation de la pratique sportive pour le plus grand nombre, notamment pour ceux dont les ressources financières sont les plus faibles. Aucune disposition n’est par exemple ici prise afin de faciliter l’accès au sport au public ne disposant pas des ressources nécessaires pour financer l’achat d’équipement sportifs.
Le renouvellement du cadre de la gouvernance des instances sportives ainsi que de leur représentation
D’après le rapporteur Pierre-Alain Raphan, la démocratie est l’art pour les gouvernés de choisir leurs gouvernants, de sorte que chaque système démocratique, même sportif, doit tout mettre en œuvre pour donner les clés de lecture du système avec plus de transparence. Cet idéal doit être partagé par tous : de l’élection des députés aux présidents des fédérations, instances déconcentrées, ou ligues professionnelles.
Pour atteindre cet objectif, la loi visant à démocratiser le sport modifie les modalités d’élection des représentants des instances sportives en donnant plus de voix aux clubs. Jusqu’alors, c’était par un système de grands électeurs qu’étaient élus les présidents de fédérations, via des délégués régionaux, départementaux et territoriaux désignés par les clubs sportifs. Désormais, le président de la fédération sera élu par une assemblée générale « composée de chaque association affiliée à la fédération » et verra son exercice limité à 3 mandats.
Cet article 6 entend aussi donner plus d’importances aux sportifs de haut niveau avec, au sein de chaque comité directeur de fédération, deux représentants des sportifs de haut niveau de chaque sexe.
C’est là aussi que l’on retrouve la grande nouveauté de cette loi : elle instaure la stricte parité dans les comités directeur ainsi qu’au bureau du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF). L’idée étant que chaque organe de décision doit ressembler à la population française, c’est une représentation dite « miroir » qui a été choisie.
Toutes ces décisions reprennent ici les observations de la Cour des Comptes qui, dans son rapport annuel de 2018[2], avait fortement dénoncé la manière dont étaient tenues les élections dans les fédérations sportives. L’institution avait ainsi porté un regard très critique, parlant d’une « démocratie sportive indirecte et diluée » avec des clubs « rarement appelés à l’élection des instances dirigeantes » et « un pouvoir éloigné de la base des bénévoles ». Elle signalait également l’inertie de la gouvernance associative, due à l’absence de limitations de mandats.
Toutefois, même si ces réformes vont vers une amélioration souhaitable de la gouvernance sportive, il est très regrettable qu’elles ne soient pas de suite mises en place. En effet, la majorité des mandats des présidents de fédérations se terminant au plus tard le 31 avril 2021, ces réformes ne seront applicables qu’à partir de 2024, donc pas avant les Jeux Olympiques de Paris.
Dans une logique de transparence, engagement de campagne du candidat Macron, l’obligation de déclarer sa situation patrimoniale et d’effectuer une déclaration d’intérêts est étendue aux dirigeants de fédérations au niveau régional, qui seront soumis au contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
L’article 8 de la loi étend en outre aux arbitres, juges, titulaires du diplôme de surveillance des baignades d’accès payant et à toutes les personnes intervenant auprès des mineurs dans les établissements physiques et sportifs le contrôle d’honorabilité défini à l’article L. 212-9 du code du sport. Il prévoit que « nul ne peut exercer des fonctions d’enseignement, d’animation, d’entraînement ou d’encadrement d’activités physiques et sportives, qu’il soit rémunéré ou bénévole, s’il a fait l’objet d’une condamnation pour crime ou pour un délit de type violence, agression sexuelle, trafic de stupéfiant, risques causés à autrui, proxénétisme, mise en péril de mineurs, usage de stupéfiants ou incitation à leur usage, dopage et fraude fiscale. »
Ce contrôle vise à protéger les pratiquants, notamment mineurs, contre les dangers pour leur santé et sécurité physique ou morale. Cette modification est ici une réaction évidente face aux risques que de récentes affaires, notamment dans le patinage artistique, avaient mis en lumière.
Le modèle économique sportif
Enfin, le troisième titre de la loi s’assigne comme objectif de permettre une politique sportive équilibrée entre compétitivité et solidarité. L’économie du sport en France représente 450 000 emplois pour un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards d’euros, d’où un certain souci de pérenniser un modèle économique sportif gravement touché par la crise sanitaire.
L’article 9 de cette loi met en lumière la plateforme nationale contre la manipulation des compétitions sportives, en l’introduisant dans le code du sport. Celle-ci vise ainsi à « servir de centre de recueil, de collecte et de partage des informations et des documents utiles à la lutte contre la manipulation des compétitions sportives en procédant, le cas échéant, à leur transmission aux autorités compétentes et aux organisations sportives. »
L’article 10 porte lui sur le streaming illégal, sujet brûlant en matière de retransmission des compétitions sportives. Selon la HADOPI, c’est en effet 100 millions d’euros qui échappent chaque année au financement du sport amateur et professionnel à cause de cette pratique. L’idée est donc de créer une nouvelle procédure juridique dynamique permettant le blocage, retrait ou déréférencement des sites retransmettant illégalement une compétition sportive en direct. Dès lors, le titulaire des droits de diffusion est autorisé à « saisir le président du tribunal judiciaire qui statuera en référé ou selon la procédure accélérée au fond afin d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou faire cesser cette atteinte »[3]. L’ordonnance initiale du juge pourra servir de base au blocage des sites, même non identifiés dans le jugement. Logiquement, la procédure ne pourra viser que des sites retransmettant des compétitions expressément visées dans l’ordonnance et seulement pour la durée de l’évènement sportif. La HADOPI jouera le rôle de « tiers de confiance » entre les titulaires du droit et les défenseurs, chargé de juger du bien-fondé des demandes. Cette loi vient donc doter les agents de la HADOPI de pouvoirs d’enquête, nouveauté qui rentre dans le cadre de la fusion prévue entre le CSA et la HADOPI, dont l’objectif est précisément de lutter au mieux contre le piratage des compétitions sportives ou le streaming illégal.
D’après Cédric Roussel, l’article 10 bis permet d’attirer l’attention sur ce qu’il affirme être « le morcellement des compétitions sportives sur des chaînes privées payantes et une présence toujours plus réduite du sport en clair. » L’article de loi autorise ainsi la constitution d’une société commerciale par les ligues professionnelles pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation audiovisuelle. Cela permettrait alors d’assurer que les droits soient gérés par une entité dédiée dont au minimum 80% du capital serait détenu par la ligue professionnelle. Le président de la LFP, Vincent Labrune, s’est d’ailleurs exprimé en faveur du projet et la ligue a d’ores et déjà modifié ses statuts pour y intégrer la possibilité de créer une société commerciale.
Signe d’une réforme bien réalisable, les clubs italiens de la Serie A ont approuvé en septembre 2020 la création d’une société commerciale pour la gestion des droits TV et par la suite validé l’offre de trois investisseurs privés pour s’inscrire dans le projet à hauteur de 10% du capital. En ce qui concerne la réforme française, un décret déterminera « les catégories de personnes physiques ne pouvant pas détenir de participation dans le capital de la société commerciale ».
Le dernier article ajoute la SCIC au type de société sportive expressément autorisé par la loi. Une Société Coopérative d’Intérêt Collectif est une coopérative de participation qui prend la forme d’une SA ou SARL à but non lucratif : elle a pour objectif de produire dans un intérêt collectif des biens ou des services ayant un caractère d’utilité sociale au profit d’un territoire ou d’un secteur d’activité.
Elle encourage ainsi la transition des clubs professionnels volontaires vers une économie sociale et solidaire rejoignant donc l’objectif d’une politique sportive équilibrée entre compétitivité et solidarité.
Une proposition qui ne fait déjà pas consensus
Lors de la première séance publique a été déposée une motion de rejet préalable par le groupe Socialistes et Apparentés, rejetée par la suite. Le député Régis Juanico pointait le manque d’ambition de la proposition. Si celle-ci avait été déposée il y a un an, elle aurait pu entrer en vigueur dès les nouveaux mandats des présidents de fédérations de cette année 2021. Les députés de l’opposition ont dès lors qualifié cette loi de « session de rattrapage » ou « d’occasion manquée », montrant le net décalage avec les attentes des acteurs sportifs. En effet, ces derniers mois, le mouvement sportif français a été confronté à des pertes de licenciés et des pertes financières : le déficit des recettes a été estimé à plus de 370 millions d’euros. Une enquête du CNOSF d’octobre 2020[4] a révélé la précarité de cette situation : 74% des clubs ont recensé une perte de 26% des licenciés en 2020.
Quant au Comité National Olympique et Sportif Français, il se sent incompris et pointe le fait qu’aucune mesure n’ait été prise pour accompagner et valoriser l’engagement des bénévoles. Lors d’un congrès exceptionnel en janvier 2021, les membres avaient fait des propositions supplémentaires qui n’ont, pour la plupart, pas été prises en compte [5]. L’obligation de créer une association sportive dans tous les établissements scolaires du premier degré, la création d’un véritable statut de « reconversion » pour les sportifs de haut-niveau en fin de carrière, ou encore la mise en place du remboursement du sport sur ordonnance par le régime général de la sécurité sociale pour l’ensemble des trente affections de longue durée pour lesquelles le sport peut être utilisé comme traitement non-médicamenteux, toutes ces propositions ont été ignorées.
Le texte adopté par l’Assemblée Nationale a été transmis à la Commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication du Sénat. Celle-ci pourra discuter du texte et proposer de nouveaux amendements qui iront peut-être dans le sens des recommandations du CNOSF. Cette étape passée, le texte de la Commission sera examiné en séance plénière avant d’être voté puis adopté, la procédure accélérée ici mise en place réduisant la navette parlementaire à une unique transmission du texte.
[1] Modification prévue de l’article L. 100-1 du code du sport
[2] Rapport annuel de la Cour des Comptes de 2018, Tome II, l’Etat et les mouvements sportifs.
[3] Article L. 333-10 du code du sport prévu par la proposition de loi.
[4] https://cnosf.franceolympique.com/cnosf/actus/8374-fdrations-et-clubs-en-souffrance–les-rsultats-officiels-de-lenqute-du-mouvement-sportif.html
[5] https://cnosf.franceolympique.com/cnosf/actus/8417-congrs-du-cnosf–les-propositions-du-mouvement-sportif-pour-la-loi-sur-le-sport.html
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