Messi au PSG, atout géopolitique pour le Qatar
S’il est bien un évènement que d’aucuns n’auront manqué au cours de la période de mercato estival, c’est bien le recrutement de Lionel Messi par le PSG. Dès l’annonce par le FC Barcelone de l’impossibilité de prolonger son contrat, les yeux du monde du sport se sont tournés vers le PSG, seul club que l’on pensait en mesure, à la fois en termes économique mais aussi d’envergure, de recruter l’un – si ce n’est le – meilleur joueur de football en activité. Les tenants sportifs ou économiques d’un tel recrutement ayant déjà été analysés, nous nous pencherons plutôt sur les aspects géopolitiques qui se jouent derrière un achat d’une telle ampleur.
Il nous faut d’abord se remettre dans le contexte de la stratégie d’influence par le sport assez singulière mise en place par le Qatar depuis le début des années 2010. C’est par le rachat du Paris Saint-Germain (PSG) et l’organisation de grandes compétitions sportives, notamment les mondiaux d’athlétisme et la coupe du Monde de football en 2022, que l’Etat Qatari déploie une diplomatie sportive autrement dénommée soft power sportif.
Ce concept devenu classique a été développé dans les années 1990 par Joseph Nye afin de montrer une nouvelle manière de définir la puissance. Quand la notion de hard power désigne « l’utilisation des moyens économiques et militaires par un pays en vue de conduire les autres à faire ce qu’il veut, le soft power consiste à parvenir au même résultat par un effet d’attraction, d’influence, de persuasion ; c’est l’attractivité, l’image positive, la popularité »[1]. La stratégie qatarienne consiste ainsi à se faire voir comme une puissance influente pour le reste du monde sans avoir à user des éléments premiers de la puissance : armée, économie forte etc.
De fait, si l’Etat Qatari est aujourd’hui beaucoup plus connu qu’auparavant c’est parce qu’il a fait le choix du soft power, et spécifiquement celui sportif, en en faisant un usage à part entière, même s’il peine à peser sur la scène sportive avec ses propres athlètes. Si le Qatar était d’ores et déjà une puissance pétrolière et énergétique, c’est par sa stratégie sportive qu’il a été amené à être connu sur la scène internationale, au travers du rachat du club francilien notamment ; il lui a donné une nouvelle envergure, capable de chaque année jouer la Ligue des Champions et de rêver plus grand.
En ce sens, le recrutement de Lionel Messi par le PSG rentre dans cette stratégie de soft power particulière développée par le Qatar, et l’on décèle nombre d’enjeux géopolitiques ayant motivé cet achat.
D’abord, recruter Messi est sans nul doute un coup sportif sans précédent, qui surpasse ceux, pourtant déjà mirobolants, effectués par le club de la capitale. En effet, recruter Messi ce n’est pas recruter Neymar, qui peine à atteindre sur le long cours le niveau sportif des plus grands, ou Mbappé, certes grand espoir français lors de son transfert en 2017 mais qui manquait en conséquence d’une aura consolidée. Le recrutement de Lionel Messi est d’une envergure qui n’a jamais existé ; lui qui est considéré comme l’un des deux meilleurs joueurs au monde en activité n’avait jamais joué ailleurs qu’au FC Barcelone en 17 ans de carrière professionnelle contrairement à Cristiano Ronaldo qui avait déjà connu plusieurs transferts.
Dès lors, pour le Qatar, que le meilleur joueur de la planète joue dans le club qu’il détient est un élément d’influence sans précédent dans sa stratégie de soft power. En devenant un joueur du PSG, Lionel Messi devient de fait un des ambassadeurs du Qatar, qui pourra se targuer de détenir le meilleur joueur au monde dans son club lorsque la Coupe du Monde aura lieu en 2022 dans la péninsule qatarienne.
De plus, ce recrutement intervient à un moment où les critiques envers le Qatar s’intensifient. En devenant un acteur majeur de la scène internationale sportive, l’Etat est devenu dès lors le centre d’attention des enquêtes et des critiques. Que ce soit au niveau écologique avec une coupe du Monde qui se jouera dans des stades climatisés, ou encore au niveau des droits humains au regard des conditions sanitaires et climatiques déplorables dans lesquelles les ouvriers travaillant pour construire les stades sont traités[2]. La nomination du Qatar comme pays hôte de l’un des deux plus grands événements sportifs fait de facto débat et des menaces de boycott ont déjà vues le jour, sans pour autant qu’elles se concrétisent[3]. Au-delà de problèmes particulièrement liés à l’organisation de la coupe du Monde, c’est le système de la Kafala[4], établi dans la majeure partie des États du Moyen-Orient et de la péninsule arabique qui a pu être dénoncé. Il désigne une pratique suivant laquelle l’employeur devient le parrain du travailleur étranger : il couvre notamment les frais de voyage et de logements. Néanmoins, ces États dont le Qatar profitent et abusent de ce système par lequel ils exploitent les employés immigrés en les empêchant de quitter le pays où ils travaillent au moyen de la confiscation du passeport par l’employeur.
Le fait de posséder l’équipe la plus compétitive dans laquelle joue le meilleur joueur du monde constitue donc un moyen privilégié pour à la fois détourner l’attention des critiques et redorer l’image du pays.
Le Qatar recherche à faire oublier les contestations suscitées par la Coupe du Monde 2022 et les critiques intrinsèques à la société qatarienne mises au premier plan dans le cadre de l’organisation de cette compétition. Les succès sur le plan sportif du PSG dont les ambitions ne cessent de grandir et de s’amplifier au fil des saisons par le recrutement des meilleurs joueurs de la planète seront-ils suffisants pour cela ? Est-ce que le fait que le Qatar soit au centre de la scène internationale permettra d’améliorer les conditions humanitaires et sociales en son sein ? Pour l’instant, de réels progrès restent à faire, mais de récents évènements ont déjà pu conduire à une abolition partielle de la Kafala pour les travailleurs étrangers [5] et les premières élections législatives du Qatar auront lieu le 2 octobre : les qatariens voteront alors pour élire les deux tiers du Conseil Consultatif de la Choura [6]…
[1] Géopolitique du Sport, Pascal Boniface, 2014
[2] Revealed : 6500 migrant workers have died in Qatar since World Cup awarded
[3] Coupe du Monde 2022 : Finalement, la Norvège ne boycottera pas le Qatar
[5]Qatar, les progrès en demi-teinte des conditions de travail des étrangers
[6] Qatar’s first ever legislative elections stir debate
7. Crédit photo : AFP